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Viva Zapata !

 

I

Je lisais le journal sur la terrasse de mon café habituel, quand mon attention fut attirée par une conversation à la table voisine. Ce n'est pas dans mes habitudes, mais, voyez-vous, c'est une chose étrange que d'entendre deux loups de mer échanger trucs et astuces sur la navigation à voile, dans une région où la mer n'existe plus que dans des coquillages fossilisés. La discussion me coulait agréablement dans l'oreille, quand j'aperçus un bateau à voile en contrebas du balcon. Celui-ci louvoyait en douceur dans la ruelle étroite, qui débouche sur la place du café et rebelote, vire à angle presque droit à l'assaut d'un autre rétrécissement. Je me penchai par-dessus la rambarde et constatai qu'il s'agissait d'un de ces clins d'oeil dont le hasard nous gratifie quelquefois. Un touriste s'en retournait chez lui, après des vacances marines, forcément à mille lieues d'ici, son raffiot en remorque (pour changer l'eau en vin, il y faut sans doute beaucoup plus de foi!)

Je payai mon café, saluai les loups de mer et m'attardai devant le tableau d'affichage du bourg. La pêche à la truite de moins de vingt-trois centimètres, ainsi que celle aux écrevisses de moins de neuf centimètres (hors les pinces), était maintenant interdite. Ma satisfaction vira à la stupeur à la lecture d'une invitation singulière. Les habitants étaient chaleureusement conviés à une fête en faveur des zapatistes ! Dans un pays où la révolution n'existe plus que dans les livres d'histoire, la proposition exhalait un relent de soufre. La suite me rasséréna toutefois. Les instigateurs s'étaient fendus d'une exhortation aussi brève que sévère : "TOUS les chiens sont interdits à la soirée". Discriminaient-ils entre Braque du Midi et Basset des Alpes ? Visaient-ils exclusivement les roquets hargneux, les clébards suffisants, les dingos affamés ? Non, TOUS les chiens. C'était écrit en lettres capitales. Impressionnant, n'est ce pas ? Il est toujours rassurant d'avoir affaire à des êtres sensibles, intelligents et dans ce cas précis, instruits de la symbolique tantrique où le chien incarne la force de destruction.

Avant de tourner le dos au panneau d'affichage, je perçus encore le bout d'une prophétie délavée ondulant sous le soleil. "Un jour il fera nuit", annonçait la soirée théâtrale. Soulagée par cette affirmation pleine de bon sens, je rentrai chez moi en sifflotant la marseillaise.

 

 

 

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