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La complicité

La soupe de nid d’hirondelle

 

 

Un banc est accolé au chalet. Une assise taillée dans le tronc d’un mélèze.

Le vieux Hou-Chi a cloué deux demi-pneus sur les rondins de la bâtisse qui servent d’appui pour le dos. Mais Bao est trop petite pour couvrir le caoutchouc de ses omoplates, ces moignons d’ailes. 

Assis côte à côte, il lui raconte comment les hirondelles construisent leur maisonnette avec de la salive. Un chef d’œuvre rare, précieux et rudement délicieux. Pour aller les cueillir, des hommes sont prêts à se mettre en danger de mort. Manger la soupe de nid d’hirondelle consacre un rituel très spécial. En déguster chaque cuillerée avec attention rend capable de comprendre les histoires en langue hirondelle. Ces fables que les mamans racontent à leurs petits. Hou-Chi confie encore à sa petite-fille que certaine espèce d’hirondelle — appelée martinet — se repose en naviguant sur le dos. Les martinets ont la particularité de dormir tout en se laissant porter par les vents ascendants. 

Bao affirme qu’elle aussi est un martinet. Quand elle dort, elle s’envole très haut dans le ciel. Là où le bleu devient noir et où il n’y a même plus d’étoiles. Elle peut à sa guise monter et descendre, exécuter des cabrioles et des cumulets. Ou simplement voguer comme une coquille vide. Ils se mettent d’accord. Comme elle connaît le chemin, lorsqu’il sera mort, il lui fixe rendez-vous sous la voûte céleste, juste pour le plaisir de flotter sur le dos ensemble. Il lui fait promettre de toujours bien manger sa soupe de nid d’hirondelle, d’en mâcher chaque cuillerée. Ce sera leur façon secrète de tenir la conversation et de continuer à s'aimer.

 

Anna Blum

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