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Vers l'âge de huit ans, Stéphane rêve d'espace et d'étoiles, mais quand, durant un séjour en centre de vacances, il découvre la spéléologie, il sait que sa voie se trouve sous terre et non dans la vastitude du ciel. L'aventure devient accessible, juste là, sous ses pieds et sous la main ! Il arpente très vite les grottes autour de chez lui avec le club spéléo de la région. Le « seuil du Poitou », situé entre le bassin aquitain et le bassin parisien, est en effet constitué de dépôts calcaires d'une cinquantaine de mètres d'épaisseur propice aux cavités ‒ peu profondes certes ‒, mais pourvues de belles rivières souterraines. Après son bac scientifique, Stéphane suit un brevet de technicien agricole en « Animation nature » puis en parallèle celui d'initiateur en spéléologie, de façon à transmettre plus facilement sa passion pour le monde souterrain. Aujourd'hui, et depuis maintenant une quinzaine d’années, pour l'essentiel les grottes situées sur le plateau du Vercors.

Stéphane Emmer

« Vingt mille lieues sous la terre »,

ou la passion de territoires souterrains inconnus, pour la joie de l'aventure humaine

 

Anna Blum : Stéphane, c'est le goût de l'aventure qui t'a fait « embrasser » la passion de la spéléologie ?

Stéphane Emmer : la spéléo contient plusieurs facettes qui me plaisent autant les unes que les autres. Partir à l'aventure était ma première motivation. S'y sont ajouté l'aspect scientifique, sportif et technique de cette discipline ainsi que la convivialité. Apprendre à se servir de son observation et de ce qu'on a appris à l'école, les mathématiques, les sciences… et en plus, ce qu'on découvre correspond rarement à ce qu'on a imaginé ! En parallèle, il faut acquérir un peu de technique pour utiliser les cordes, le matériel de progression etc. comme on peut le faire en escalade par exemple. Aujourd'hui, je dirais que ce qui me plaît le plus, c'est l'aventure humaine. La compétition n'existe pas en spéléologie. Tout est conçu et vécu en équipe, en collaboration et en solidarité. Il y a un côté magique et euphorisant dans le fait de découvrir des nouvelles salles, des nouvelles jonctions et ce plaisir-là forge un esprit très particulier, qui devient presque une motivation première !

AB : pour toi, c'est une activité à plein-temps ?

 

SE : oui, tout à fait ! On dit souvent qu'il faut plusieurs vies pour explorer le monde souterrain. On passe autant de temps à préparer une sortie et ensuite à nettoyer le matériel, faire le compte-rendu, consigner les données topographiques, qu'à l'intérieur de la cavité proprement dite. La transmission est aussi une donnée importante. La Fédération nationale de Spéléologie est la fédération qui proportionnellement compte le plus de diplômés en son sein. Sur huit-mille adhérents, trois-mille sont initiateurs ! Pratiquer la spéléo d’exploration laisse peu de temps pour pratiquer d'autres activités. Ça ne m'empêche pas de faire un peu d'escalade, un peu de ski l'hiver, un peu de canyoning, mais c'est marginal en comparaison avec mes activités de spéléologie.

AB : tu travailles à la topographie des grottes du Vercors. Comment ça se passe ?

SE : sur le Vercors essentiellement, mais pas uniquement. Quand un groupe

découvre un nouveau réseau, soit celui-ci prolonge un réseau existant et il

s'agit de nouveaux passages, soit ce sont des cavités jusque-là inconnues. L'idée

est d'établir des liens, de relier le tout et de publier dans une optique de par-

tage. On se base souvent sur le travail des générations précédentes. Les grottes

qu'on explore aujourd'hui ont commencé de l'être il y a parfois vingt ou trente

ans. La grotte de la Luire sur le Vercors, par exemple, a commencé d'être explorée

il y a plus de cent ans et aujourd'hui on découvre encore toujours des

nouvelles galeries. Ça ne s'arrête jamais. Techniquement c'est très difficile et donc

ça avance doucement. Parfois il faut passer en plongée, pomper des siphons et

il n'y a que quelques spécialistes à pouvoir le faire. La météo est aussi un

élément déterminant. Trop de neige empêche parfois l'accès à certaines cavités,

trop de pluie signifie souvent trop d'eau dans les réseaux actifs et il faut quel-

quefois attendre les périodes de gel ou de canicule pour partir explorer...

L'exploration d'une grotte peut mettre plusieurs générations. Imagine : il y

en a plus de soixante-dix-mille en France aujourd'hui et on en connaît sans doute

à peine la moitié !

AB : quels outils utilises-tu pour la topographie ?

SE : aujourd'hui, grâce à des électroniciens débrouillards, on dispose de lasers-mètres bricolés qui permettent de mesurer facilement et avec précision la longueur, la pente et la direction de nos mesures. Sinon, on utilise le laser-mètre basique ainsi que le clinomètre qui mesure les pentes, et un compas ou boussole à lecture directe pour les directions. Puis on rentre les données dans un carnet spécifique et en parallèle on exécute le dessin en plan et en coupe. Aujourd'hui, il existe des logiciels très performants qui transforment ces données instantanément en plan, coupe ou 3D. Les reporter ensuite sur une carte IGN devient facile.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : aujourd'hui, tu nous a fait découvrir la grotte de Pellebit dans le haut Diois. Quelles en sont les caractéristiques ?

SE : la grotte se trouve entre le village et le col de Menée. C'est un des plus vieux réseaux du Vercors, entièrement fossilisé. Le calcaire est en effet constitué des restes fossilisés des millions d'animaux marins qui vivaient dans cette mer peu profonde, il y a entre deux et trois millions d'années. C'est ce qu'on appelle une grotte fossile parce que même s'il pleut très fort, on n'y trouve que quelques infiltrations. La majeure partie du bassin d'alimentation a complètement disparu, rognée par l'érosion. C'est une grotte labyrinthique assez sympa, qui comporte pas mal de toboggans, de petits passages. Bref, de l'aventure et des parcours pour tous les goûts !

AB : tu disais que ce n'est pas facile de guider des groupes hétérogènes ?

SE : c'est vrai, trouver un parcours qui va contenter tout le monde alors que chacun a des capacités physiques différentes n'est pas facile. Mais, comme tu l'as constaté, la grotte de Pellebit permet de proposer des petites variantes, des petits diverticules aux plus affranchis, en donnant des consignes bien précises pour se rejoindre plus loin, sans abandonner les autres.

 

AB : vous avez encore fait des découvertes dans cette grotte ?

SE : on y refait surtout la topographie qui date des années soixante-dix, de façon à pouvoir la reporter sur une carte IGN. Ensuite on essaye de trouver la jonction avec la grotte de Pellebit inférieure, qui se situe à quelques dizaines de mètres et permettrait de former un réseau de presque deux kilomètres. On sait que cinq cents mètres plus bas, de belles sources apparaissent. Potentiellement, il serait donc possible aussi de trouver un jour la rivière souterraine…

AB : dans une des salles, tu nous as suggéré de nous coucher à un endroit plus ou moins "confortable". On a éteint nos lampes frontales et on est resté une dizaine de minutes dans le noir et le silence le plus complet. C'était une très belle expérience qui, pour ce qui me concerne, m'a paradoxalement empli d'une grande sensation de paix et de sécurité !

 

Les Néanderthaliens dormaient donc de cette manière dans les grottes ?

SE: la plupart des êtres humains de cette époque ne dépassaient pas le seuil des grottes. Celles-ci devaient les préserver des intempéries et des grands prédateurs. Seuls quelques-uns, pénétraient plus en profondeur, comme dans la grotte de Lascaux ou de Chauvet, pour y exercer des rites sacrés tels que la peinture. La température d’une grotte est relativement stable, ils n'avaient donc pas besoin de trop se chauffer, ni de s'éclairer s’ils restaient proches de l’entrée. L'homme n'a pas vécu sous terre ! On trouve beaucoup de choses dans l'entrée des cavités en Ardèche, dans le Lot, mais très rarement loin sous terre. Pour nous, spéléologues, en plus des aspects scientifiques et de la cartographie, l'exploration de toutes ses galeries souterraines est prétexte pour développer l'esprit sportif, l'esprit de coopération, la motricité et l'endurance! »

 

Lien vers le site de la fédération française de spéléologie: http://ffspeleo.fr/

Les conseils de Stéphane à ceux qui voudraient se lancer dans l'aventure de la spéléologie

 

« La spéléologie est une activité qui se pratique en groupe. On évite de partir seul à l'aventure. Pour avoir plus d’infos sur cette activité, le mieux est donc d'aller sur internet et de repérer le club spéléo du coin. Si on habite une région avec un sous-sol calcaire, on est certain de trouver des cavités pas loin de chez soi. La Fédération française de spéléologie recense tous les clubs et notamment ceux qui pratiquent l'initiation. Par ailleurs, tous les premiers WE d'octobre, la fédération organise les journées nationales de la spéléologie. Ce sont des sorties gratuites et accessibles à tout le monde à partir de trois ou quatre ans, suivant l’organisation. Toutes les infos se trouvent sur le site de la fédération. Chaque année, le comité départemental de la Drôme, qui regroupe l’ensemble des clubs du département, organise cet événement sur le Vercors.

 

Cette année, ce sera la grotte de Bournillon dans les gorges de la Bourne, les 1er et 2 octobre, avec différents parcours proposés. On pourra y pratiquer l’initiation à la descente en rappel, crapahuter dans de petites galeries ou tout simplement se balader dans des plus grandes, qui font plusieurs dizaines de mètres de large et sont appropriées à tous, même aux personnes les plus claustrophobes du monde ! »

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