Mon aptitude à l’immobilité progresse. Quelquefois il m’arrive de rester sans bouger devant ma porte-fenêtre plus de dix minutes sans m’apercevoir du temps qui passe. Talons joints, pointes des pieds tournées vers l’extérieur, bras ballants, regard fixé un chouïa sous la ligne d’horizon. Je laisse venir à moi l’informulé, comme le recommande la posture Wuji dans le Tao. L’arrière-plan de mon panorama est empli de montagnes et, presque au milieu de celles-ci, l’ouverture en V sur la vallée de Die. Une rangée touffue de feuillus, enracinés dans le fond de la combe du jardin, forment une ligne mouvante à l’avant-plan : frênes, vieux peupliers trembles, chênes, deux tilleuls, quelques cerisiers, quelques pins noirs. De là où je me tiens, mes yeux caressent leurs frondaisons.
Corneilles, pigeons et tourterelles, geais, pies, pics verts et pics épeiches s’affairent. Quelquefois des vautours fauves glissent très haut dans le ciel vers une destination connue d’eux seuls. Depuis peu, un couple de huppes fasciées c’est installé quelque part à l’abri des regards. Les petits oiseaux ne sont pas en reste. Ça s’active, fuse, volette, plane, louvoie à tirelarigot. Un écureuil se faufile de branche en branche. Soudain, une huppe me rentre dans le corps par le coin de mon œil gauche. Elle fonce sur mes viscères, y dépose une cerise d’un rouge éclatant, frôle mon coeur, ressort par l’oreille droite. Ça y est, je vacille. Le nommé se recrée en quelques secondes. Il y a d'abord du ciel (beaucoup de ciel !), des arbres en veux-tu en voilà, une quantité d’oiseaux surprenante, épatante. La petite danse à l’intérieur de mon corps prend son envol. J’entre de plain-pied dans le monde. La beauté s’estompe.
Texte et photo: Anna Blum
"The dark and distant drumming
the pounding of the hooves
teh silence of everything that mooves
late at night you'll see them
decked out in shiny jewels
the coming of the caravan of fools..."
You're running with the caravan of fools..
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