C’était une petite perle de rien du tout. L’homme qui partage ma vie depuis près d’un demi siècle, l’avait repérée sous la table qui lui sert de base d’empilement — documents administratifs / partitions / ordinateur / lézard en bronze / okapi miniature en plastique… Sa voix résolue (où affleurait un soupçon d’inquiétude), vint me percuter à l’autre bout de la maison. Deux paires d’yeux stupéfaits observaient maintenant la perle rouler, tanguer sur le sol, comme dotée d’une vie très personnelle, avec une prédisposition pour le swing. La perle noire, d’une rondeur parfaite, parcourue de délicates zébrures couleur bois, était indubitablement une perle vivante. Sa danse terminée, quelle ne fut pas notre surprise de voir la perle s'ouvrir comme le calice d'une fleur, sur une multitude de petites pattes qui battaient l’air à la recherche du sol. C’est là qu’on comprit qu'il s'agissait d'une vraie bestiole, et plus précisément d'un cloporte!
On le glissa sur une feuille et on le remit dehors, dans un endroit humide et sombre, là où vivent ces crustacés terrestres. Parce qu'en effet, le cloporte, de la même famille que le homard, est un être aquatique égaré sur terre depuis des lustres. Inoffensif, il aime tenir propre nos jardins (il mange des feuilles, des écorces, de minuscules champignons…), et fertilise la terre avec ses excrétions. Le cloporte mâle possède 2 stylets érectiles, qu'il fourre dans 2 orifices chez la femelle. Après fécondation, la femelle garde les œufs dans une poche sous son corps, et un mois plus tard elle se débarrasse de sa progéniture, en se secouant le badou. Ni insecte, ni mammifère, le cloporte apprend tout seul à rouler comme une bille, quand il a l'occasion d'entrer par effraction chez des amateurs de musique. Et ça fait shadrack, shadrack, quand il se dandine sur un air de gospel...
Texte et photos: Anna Blum
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