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Où est parti Tony Goodwin ?

annelauwersblum

J’ai découvert John Berger sur le tard et c’est dommage, j’aurais aimé rencontrer ce personnage débordant d’un humanisme sensible, solidement planté dans la terre, et relié au ciel. Mais, si j’en crois son histoire sur Tony Goodwin, il se tient quelque part dans la toile du temps, en train de nourrir l’imagination de ceux qui ont l’oreille affutée !

John Berger est un romancier, nouvelliste, poète, scénariste, peintre et critique d’art londonien, né en 1926 et mort en 2017. Vers la cinquantaine, il s’installe dans un petit village de Haute-Savoie où il partage la vie des paysans. La trilogie « Dans leur travail » est un hommage à ce monde où pauvreté, rudesse, et humanité se côtoient.

Quand il gagne le « Booker Prize » en 1972 (l’équivalent du Goncourt au Royaume-Uni), avec son roman « G », il décide de verser la moitié de la somme aux « Black Panthers ».

Anna Blum


photo Anna Blum
photo Anna Blum

"Où est parti Tony Goodwin ? Sa mort proclame qu’il ne pourra jamais plus être présent nulle part : qu’il a cessé d’exister. Physiquement cela est vrai. Dans le verger, voici deux semaines, on a brûlé des feuilles mortes. Je foule les cendres. La vie de Tony appartient maintenant, historiquement parlant, au passé. Physiquement, son corps, simplifié pour avoir été réduit à l’état de carbone par les flammes, a réintégré le processus naturel. Le carbone est la condition préalable à toute forme de vie, la source de l’organique. Je me dis ces choses non pas afin de concocter une spécieuse alchimie de l’immortalité, mais pour me rappeler que c’est ma représentation du temps qu’interroge impitoyablement la mort. Inutile de se servir d’elle pour nous simplifier la vie. Tony a quitté les rets du temps tel que le vivent ceux qui, jusqu’à récemment, lui étaient contemporains.

Il se tient sur la circonférence de ces rets (la circonférence d’une sphère, pas d’un cercle) comme s’y tiennent les diamants et les amibes. Pourtant, il demeure lui aussi à l’intérieur de ces rets, de même que tous les morts. Ils s’y retrouvent en qualité de tout-ce-que-les-vivants-ne-sont-pas. Les morts sont l’imagination des vivants. Pour les morts, contrairement aux vivants, la circonférence n’est ni frontière, ni barrière."

John Berger

extrait du :« Et nos visages, mon coeur, fugaces comme des photos »




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