Sous le magnolia en fleur, mémé regarde passer les voitures, les quelques rares piétons. Il arrive que de courageux cyclistes slaloment entre des bolides et elle s'amuse de ce tohu-bohu de la vie. Toute recourbée sur son passé, elle a fait la paix avec ses muscles, sa vie d'autrefois, ses amours, ses désenchantements.
À midi, ils viennent la chercher pour lui donner à manger dans son fauteuil roulant, aligné sur ceux des autres confus. Après la sieste, ils la remettent dehors jusqu’au soir et la plupart du temps, ils la rentrent avant la tombée de la nuit. Ce sont les nouveaux à qui il arrive de l'oublier. Plus par distraction que par méchanceté. Ils courent toute la journée après le temps perdu, les pauvres !
Mémé raconte à tout qui veut l’entendre, que sa vie sous cet arbre lui plaît. Elle ne se rappelle jamais les étourderies des soignants. Mémé affectionne la compagnie de son magnolia. La senteur entêtée, le côté volubile de ces fleurs, un rose nacré tirant sur le blanc qui lui rappelle ses quelques rares orgasmes durant lesquels elle s'était sentie comme effacée d'elle-même, dissoute dans un bain de lumière mauve et rose. Elle oublie le nom de ces jolies fleurs qui lui murmurent histoires piquantes, salaces, romantiques et emplissent ses nuits de rêves érotiques.
Anna Blum
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