Le royaume secret de la rivière
- annelauwersblum
- 27 août
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 août

Ce n’était pas un matin comme les autres. À six heures, le thermomètre affichait déjà vingt-cinq degrés, ce qui n’est pas habituel ici en montagne, même en période de canicule. Jusque là, l’air matinal gardait le vif et le frais de la nuit. Nos balades à vélo dans la vallée d’à côté, nécessitaient pull et coupe-vent.
Neuf heures sonne la transition : il est temps de rentrer chez soi, fermer les volets, et ne plus sortir jusqu’au soir, sauf avec un chapeau enfoncé sur le crâne et un éventail dans la poche.
Ce matin-là, la température plus élevée et des rafales de vent, nous ont poussé dans la direction opposée. Au bout de la bonne descente de six kilomètres à l’ombre, on a enlevé notre pull. Il faisait déjà trop chaud. On bifurqua vers le village de Ponet, ses maisons de pierre et ses ruelles étroites, son église et son temple, son vieux bassin de rouissage du chanvre (et sa fontaine au crocodile!). Sur le long tronçon droit, bien après les dernières maisons de Die, la température chuta brusquement de quatre ou cinq degrés, au point qu’on dût s’arrêter pour ré-enfiler le pull. Il n’y avait pas que la température qui s'était modifiée. L’air, en se refroidissant, s’était chargé de l’odeur de l’eau, des roseaux, des pierres calcaires chauffées et refroidies mille fois, de la vase argileuse. La rivière n’était ni visible, ni audible. Elle coulait à une bonne centaine de mètres, légèrement en contre-bas de la route. Je l’imaginai ondoyante, scintillante sous le soleil du matin, tel un animal aquatique indolent. Sa Majesté la Rivière! Nous venions d’entrer dans son royaume secret. Invisible, tout l'environnement était imprégné d'elle: champs de tournesols, lavande fraîchement coupée, bois de chênes-verts et de pins, peupliers-trembles et saules, églantiers, cornouillers sanguins, roseaux…
Nous la quittâmes au moment où la route bifurque vers la droite, et l’adieu se fit avec la même précision limpide que le salut de bienvenue. Le pull était à nouveau de trop.
Au retour, la chaleur du soleil avait comme effacé l’entrée dans ce royaume invisible. Les odeurs étaient moins prégnantes. Il en irait sans doute ainsi tout au long de la journée. À midi, celui qui découvre la région, ne saura pas qu’elle est là, toute proche, si convoitée. Alors qu’une promeneuse ou cycliste du soir, la sentira, l’humera, et peut-être même l’entendra couler.
Ce jour-là, pourtant, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Malgré les belles pluies de printemps, et les pluies d’orages d’été, ses baignoires luxuriantes avaient perdu de leur lustre, des algues étaient apparues à maints endroits. Pour un peu, on aurait pu la croire moribonde. Mais, elle était là, bien là: secrète, magique, puissante !
Texte et photo : Anna Blum.
I'm on my way, to the freedom land, and I won't turn back...
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