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Les fleurs de Sandra


Sandra Burger
Sandra est née à soixante-dix kilomètres de Vienne en Autriche. Une campagne viennoise certes marquée par l'agriculture intensive (grands champs de céréales, élevages de vaches et de cochons...), mais où la nature offre aussi tout ce qu'aiment les enfants : rivières, jeux de cache-cache dans le maïs... En Autriche, les élèves ne vont à l'école que le matin, ce qui leur laisse tout loisir de s'imprégner de leur environnement ! Après son bac, Sandra entreprend des études de biologie/écologie (bac + 5) et en parallèle de pédagogie afin de pouvoir exercer le métier d'enseignante en biologie. Le manque de places dans cette branche la pousse vers la France, où elle donne pendant quelques années des cours d'initiation à l'allemand dans des classes de primaire, tout en pratiquant le « wwoofing »* dans des petites fermes bio. Petit à petit le wwoofing prend le dessus et l'amène à suivre une formation en maraîchage bio à Die. Elle s'y installe alors avec son compagnon dans une ancienne cabane de vigne, avec un peu moins de cinq mille mètres carrés de terres de culture. * Wwoofing : « Willing Workers on organic farms » Réseau international associatif ; gîte et couvert, contre quatre heures de travail par jour dans une ferme bio.

Les fleurs de Sandra

Anna Blum : Sandra, sur le marché tu es la seule à présenter des bouquets de « vraies » fleurs, comment t'es venue cette idée ?

Sandra Burger : à la fin de ma formation, déçue par le fait que les dossiers se ressemblaient tous, ma formatrice m'a donné à lire un dossier en allemand sur la culture de fleurs bio en Allemagne. J'étais dubitative, les fleurs ne m'attiraient pas particulièrement, mais en lisant le dossier, j'ai compris tous les enjeux et les effets néfastes de la culture de fleurs coupées au niveau mondial. Il y a dix ans, les premiers producteurs de roses étaient l'Éthiopie et le Kenya. Les méfaits qu'entraînent ces projets sont profonds : expropriations des petits paysans, salaires de misère et aussi l'utilisation libre de pesticides, aujourd'hui interdits en Europe. C'est surtout cette prise de conscience qui m'a motivée à me lancer dans la production de fleurs bio et de la tester sur notre petite parcelle de terrain.

AB : tu as commencé avec quel genre de fleurs ?

SB : surtout des fleurs annuelles comme les zinnias. Les zinnias forment souvent la base de mes bouquets. Le zinnia mexicain a une petite fleur jaune, mais il y en a de toutes sortes et de toutes les couleurs ! J'utilise aussi les rudbeckias, les mufliers, des sauges, des scabieuses, des ageratums. J'ajoute une partie de cueillette sauvage telle que la fleur de carottes sauvages et des feuillages des aromatiques vivaces comme la tanaisie, la menthe, l'absinthe, l'origan et la sauge. Le tout aussi pour que ça sente bon !

AB : tu n'es plus sur ton terrain de culture à Saint Roman ?

SB : le terrain de Saint Roman était trop petit et ne me permettait pas d'accéder au statut d'agricultrice. En maraîchage, il faut un hectare minimum pour obtenir le statut d'exploitant agricole et une couverture sociale. Tant que tu n'as pas ça, tu payes une cotisation solidaire (environ 300 € par an) juste pour avoir le droit de vendre sur le marché ! C'est un des rares métiers où tu es obligé de cotiser et que tu ne reçois rien en retour. Et comme il est très difficile de trouver des terres de culture, beaucoup de petits agriculteurs, alors qu'ils font le même travail que ceux qui ont le statut, vivent soit d'autres boulots à côté et du chômage, soit avec un revenu d'un conjoint ou bien chichement avec un RSA.

AB : aujourd'hui tu as le statut d'agricultrice ?

SB : j'ai eu la chance de pouvoir reprendre le terrain d'un maraîcher. Compte tenu ea de la surface des serres (qui permettent un calcul plus favorable) j'arrive tout juste à un hectare. De ce fait, j'ai eu droit à l'aide à l'installation (ou Donation Jeune Agriculteur). En contrepartie, je paye aussi dix fois plus de cotisations et je suis obligée de poursuivre mon activité agricole pendant au moins cinq ans, sous peine de rembourser l'aide ! Au final, j'ai vraiment eu cette chance de pouvoir disposer du matériel (en plus de la parcelle et des serres, un tracteur et une irrigation performante...), avant le financement, et ça grâce au fait que l'exploitant m'a fait confiance ! Le système est vicieux : on te demande de faire du chiffre pour démontrer que ton entreprise est viable, avant de te donner l'aide qui te permettrait d'y arriver !

AB : c'est dans l'optique de décourager les petits producteurs ?

SB : l'argument avancé par la Chambre d'Agriculture est qu'ils ne veulent subventionner que des projets viables et « viable » dans leur conception c'est arriver à un revenu égal au SMIC après cinq ans (cad un peu plus de 1400 € par mois). Beaucoup de petits exploitants agricoles sont loin d'y arriver ! Et même s'ils disposent de leur autoproduction ou font du troc sur le marché, c'est une condition obligatoire !

AB : le risque de faillite est le même proportionnellement que pour les grosses exploitations, non ?

SB : oui, avec des niveaux d'endettement bien pire pour ces dernières ! Je fais partie du CA de l'association ADEAR Drôme (Association de Développement d'Emplois dans le milieu Agricole et Rural) qui soutient les petits projets agricoles, et aide de gens de tous âges à s'installer. Le CA est constitué de paysans et (surtout!) de paysannes, proche de la Confédération paysanne.

Mais notre association s'occupe pour l'essentiel d'aspects pratiques liés à l'installation de ceux/celles qui ne sont pas accompagné-es par la Chambre d'Agriculture. Aujourd'hui une grande partie d'installations se fait hors cadre familial. Le défi c'est de faire le lien avec les agriculteurs qui partent à la retraite.

Malheureusement, en manque de successeur familial, ces terres partent souvent à l'agrandissement des fermes voisines. D'autre part, on met sur pied des groupes de travail destinés à ceux qui sont déjà installés, sur les semences paysannes, la laine, le pâturage hétérogène, les alternatives en viticulture...

AB : ton entreprise à toi est viable aujourd'hui?

SB : je dois encore faire la compta pour cette année, mais je pense tourner autour d'un revenu de 500 €. Mais, même avec le peu d'argent que je gagne, je n'ai pas l'impression de manquer !

AB : et la charge de travail ?

SB : en pleine saison, je fais onze, douze, parfois treize heures par jour. J'essaie de garder à peu près les dimanches. Avec l'aide à l'installation, j'ai pu embaucher quelqu'un cette été pour un petit mi-temps. C'est appréciable, ça soulage le dos et répartit mieux la charge totale de travail ! A voir si ce sera toujours possible pour la suite..

AB : il faut être passionné pour travailler autant pour un si petit salaire !

SB : ça c'est sûr, mais je me permets tout de même le luxe de prendre deux mois de vacances en décembre et janvier ! Si je ne me vois pas faire autre chose, je commence tout doucement à me poser la question de la suite. Après cinquante ans, aurai-je encore la force de continuer à ce rythme ? Je réfléchis à d'autres productions et puis le travail avec le tracteur me plaît, même si j'ai dû dépasser une certaine appréhension dans le maniement de cet engin !

AB : tu ne penses pas à retourner dans l'enseignement pour valoriser ton expérience de terrain ?

SB : je ne me retrouve plus du tout dans le système éducatif. Par contre j'aime transmettre à des stagiaires et, avec une amie de l'ADEAR on donne un cours sur les semences paysannes au CFPPA (centre de formation pour adultes) de Die.

AB : de quelle production vis-tu aujourd'hui ?

SB : j'ai commencé avec les légumes et les fleurs, ensuite j'ai ajouté quelques petits fruits et un peu de transformation (chutneys, coulis, confitures...), ainsi que des plants à repiquer. J'en produisais pour moi, c'était donc facile d'en faire un peu plus pour la vente. D'autre part, je me suis spécialisée dans les tomates. J'ai une collection de presque 200 variétés de tomates et chaque année j'en cultive jusqu'à 70 !

Au final, les fleurs ne me rapportent pas beaucoup, d'autant que mes prix sont restés très bas. J'aurais intérêt à me concentrer sur les légumes, mais les fleurs restent ma passion ! Ça me fait tellement plaisir de vendre des bouquets à des personnes qui n'ont pas l'habitude d'en acheter et de constater qu'ils en redemandent parce qu'elles se gardent longtemps, qu'elles mettent de la couleur et de la vie dans leur maison. Contrairement aux fleurs coupées qu'on trouve dans les grands magasins, les miennes sont vivantes. J'ai constaté que ça procurait du bonheur et par conséquent, ça me rend heureuse !


 

à ceux qui voudraient se lancer dans le maraîchage ou la culture de fleurs

La première chose c'est d'y croire, d'avoir envie ! Quand l'envie est là, beaucoup de choses sont possibles. Se questionner sur la viabilité est nécessaire bien entendu, mais chacun a sa vision de ce que ça signifie. On peut vivre avec peu, sans souffrir de manque ! Ensuite, il est important d'avoir un réseau, d'être entouré avant de se lancer. Pas besoin que ce soient uniquement des maraîchers, mais des personnes qui peuvent épauler, donner des conseils, des adresses... Se souvenir aussi que des aides existent tel l'ADEAR !


Interview et photos Anna Blum

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