Les arbres pleurent aussi...
- annelauwersblum
- il y a 11 minutes
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Un jour, alors que je traversais la belle forêt ardennaise, mon attention fut attirée par une sorte de menhir dressé au bord de la route. Je garai la voiture ; une pancarte à côté du monument brut relatait l’histoire d’une jeune fille, partie rejoindre son amoureux au village voisin. C’est hélas presqu’une banalité de le dire : elle fit une mauvaise rencontre dans le bois, fut violée et assassinée (et comme dit mon amie Ca.: Il serait temps que la peur change de camp, les filles, apprenez un art de combat!). Le drame avait eu lieu au début du XXᵉ siècle. Son village, sous le choc, érigea la stèle et un poète composa une chanson à sa mémoire. (*)
Un sentier contournait la roche pour s’enfoncer dans la forêt. Au bout de quelques minutes de marche, j’arrivai dans une étroite clairière, au milieu de laquelle était fichée une vieille croix en bois. L’endroit précis du crime ! En balayant la clairière du regard, je fus saisie d’effroi : à quelques mètres de la croix se tenait un vieux charme dont les branches, au lieu de se tourner vers le ciel, tombaient toutes vers le sol ! L’évidence me transperça le cœur : il avait été témoin de la monstruosité humaine et, de chagrin, de désespoir, avait laissé tomber les bras…
J’ai repensé à cette histoire alors que j’écoutais le président de l’association Arbres remarquables de France, parler de ces arbres que les membres ont choisi de préserver. Il termina l’interview en affirmant que c’était nécessaire de chouchouter les vieux arbres, les beaux arbres, les arbres rares, même si, au final, « les arbres eux-mêmes n’en avaient rien à f... ». Peut-être. Je sais de quoi l’anthropomorphisme parle (qui reste une hypothèse à prendre au sérieux dans l’étude des porosités entre les différents règnes!). Je n’ai pas non plus l’intention de développer ici une théorie basée sur la physique quantique, la dynamique des fluides, ou les lois de l’énergie (j’en suis bien incapable). Parfois, c’est l’alchimie de l’instant qui ouvre à une fulgurance : une croix, la douleur de la perte qui habite au plus profond de chacun, de chacune, un vieux charme pleureur, et la tragédie se révèle, fait jaillir le chagrin, se consume par petites touches, et l'histoire retourne au silence…
Texte et photo Anna Blum (montée vers le Chauvet à partir du Pilhon)
* à l’époque, il n’était pas rare d’honorer les victimes d’un crime en écrivant un poème, que quelqu’un transformait ensuite en chanson sur un air à la mode, m’a confié l’homme qui partage ma vie depuis près d’un demi-siècle.
Sinikka Langeland: When I was the forest
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