Rien ne résiste au temps qui passe.
Attablée face à Corto dans un bistrot, Adèle boit une eau minérale, tandis qu’il fait lentement tourner son verre de vin entre le pouce et l’index.
- Tu vois, dit-il. Il se penche vers elle, la regarde droit dans les yeux. Il voudrait prendre sa main dans les siennes et la baiser, ou la mettre sur son cœur. Un geste fou, qui lui permettrait d’ouvrir une brèche à l’amour contenu depuis trop longtemps dans sa poitrine. Mais il murmure : « La métamorphose des coquillages, voilà un processus étrange et terrible, n’est-ce pas ? As-tu déjà essayé de casser un coquillage ? Certains s’avèrent si durs que même avec un marteau… Hé bien, ceux-là aussi ! L’érosion, tu vois. Lentement, un grignotage ir ré mé diable —il appuie chaque syllabe —, mais dis-toi bien : dès le premier trou le délitement final se profile. Et à la fin, l’œuvre ressemble à un feuilleté de dentelle, dont le temps est la dentellière. À ce stade, cet objet si… — Corto cherche vainement le mot précis, alors il le montre avec le poing serré le plus fort qu’il peut — cette chose si… puissante, s’écrasera aussi facilement qu’une mouche entre ton pouce et ton index. Et dans ta main, il ne restera que du sable. Une poignée de grains de sable… »
‒ Ohlala, Corto! Je n'ai vraiment pas le temps de philosopher avec toi aujourd'hui! Simon ne sait pas que je suis ici. Ça ne va pas trop entre nous en ce moment. Je ne sais pas, enfin une supposition... Je ne suis même pas sûre de vouloir connaître la vérité. En tout cas, je dois me dépêcher. Je ne peux pas rater mon train. On a répétition ce soir et c'est moi qui ouvre la salle. Je suis sûre qu'il ne sera pas à la gare. Je vais devoir me taper le trajet à pied, sous cette pluie en plus... On chante le Requiem de Fauré. Tu devrais venir, toi qui aimes la musique. La chorale manque de basses. On prétend que les hommes à la voix grave sont de bons amants. Ça me plairait d’entendre la tienne !
Adèle enfile son imperméable, souffle un baiser du bout des doigts à son collègue et s’ensauve. Corto voudrait la retenir, mais ne voit pas comment. Doit-il se réjouir de sa confidence ? A-t-il la moindre chance ? Sa seule certitude est que rien ne résiste au temps qui passe. Rigoureusement rien. Pas même les affres du tourment...
AB
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