Sculptures Jean-Jacques Merrien, chapelle du Pilhon
Debout sur le pas de la porte, un mégot de cigare agonisant entre les lèvres, Maurice invective sa légitime. Il lui lance des noms d’oiseau à la tête, profère des menaces. Si elle persiste à Fréquenter Léon (dans sa bouche le mot ressemble à une faucille et un marteau prêt à raccourcir des têtes), il prend ses cliques et ses claques et va carrément vivre chez sa copine Jeanine, lui. Elle l’aura cherché ! Il éructe, tape du poing sur le chambranle, lui décoche un doigt d’honneur et se tire en se grattant la panse.
Liliane repasse dans la cuisine. Elle écoute Johnny chanter à tue-tête : « Que je t’aime, que je t’aime, que je t’aime ! Que je t’aime, que je t’aime, que je t’aime… ». Elle pense à Léon qu’est beau et qui la fait rire, et se dandine en rythme avec le poste.
Le petit Pierre regarde son père s’éloigner, lance un rapide coup d’œil à sa mère. Elle se trémousse, accrochée à son fer comme la brouette à la grue du quartier. Il remonte son pantalon de pyjama jusqu’aux aisselles. Au lieu de s’installer devant la télé comme il en a l’habitude, il s’assied sur le pas de la porte par où son père s’est tiré. La rue, c’est toujours plus intéressant que ce qui se passe dans la cuisine. Les vapeurs d’amour de la chanson de Johnny ont sur lui le même effet que le printemps sur les bourgeons des arbres. Il se sent tout chose. Une drôle de sensation dans la poitrine lui monte aux yeux et aux oreilles, et met un fameux charivari sous son crâne. Il guette le coeur battant la fenêtre de la maison d’en face. Le moment où il la verra apparaître. Tel un ange, une créature de rêve, une nouvelle planète dans son ciel rien qu’à lui. Il imagine les noms d’oiseaux qu’il lui chuchotera à l’oreille : Petit Pinson, Roitelette, Grande Duchesse, Sitelle si Belle, Alouette Gentille Alouette, Bergeronnette de mon Ruisseau… Depuis qu’il distingue des mots dans l’amas de lettres, il a mis son coeur au diapason des oiseaux. Un jour, il en est persuadé, il s’envolera dans le ciel avec eux. Loin, loin, des grandes personnes et de leurs mots qui claquent comme des balles de revolver. Son père qui traite sa mère de bécasse, grue, dinde, et même quelquefois vautour, et lui de fiotte ou de tarlouze, parce qu’il aime follement les oiseaux. Il espère que Roitelette s’envolera avec lui. Il en est sûr. Presque tout à fait sûr.
Texte et photo: Anna Blum
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