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Le lancé de glands

  • annelauwersblum
  • il y a 39 minutes
  • 2 min de lecture
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Le garçon déposa son sac dans le salon. Un bambou, dont une des extrémités était coupée dans le sens de la longueur et rafistolée avec du scotch, dépassait comme une antenne agrémentée d'un fanion. Je lui demandai s’il avait l’intention de faire du dessin avec son calame géant.

- C’est quoi un calame ?

- Tu tailles une pointe (ou plusieurs pointes) dans ton bambou, tu le trempes dans l’encre ou la peinture et tu l’utilises comme plume ou pinceau pour peindre un tableau.

- Ben non, mon bambou c’est pour lancer des glands !

Il tira de sa poche un petit sachet en papier rempli de glands, attrapa son calame et fonça dehors me montrer le fonctionnement de l’engin.

Je vérifiai l’efficacité par moi-même : le gland était placé dans le creux taillé et d’un geste ample du bras il volait dans les airs, avant d’atterrir quelque part dans le fouillis de la combe du jardin.

- C’est une très bonne idée d’aider les chênes à se disperser !

- Ben j’utilisais d’abord des pierres, mais ma maman m’a dit que c’était trop dangereux. Je pourrais blesser quelqu'un, ou même un animal. C’est pour ça que j’utilise des glands, répondit le garçon, tout en faisant pirouetter ses projectiles en l’air.

Soudain, toute l’histoire de l’humanité guerrière me traversa l’esprit à la même rapidité que le gland : des premiers lancés de pierre aux drones, des pointes de silex aux kalach’s, chars d’assaut, mines anti-personnelles, bombe nucléaire… Je me pris à rêver. Et si, le jour J du premier lancé de pierres, une maman avait conseillé à son fiston, ou sa fillette, d’utiliser plutôt des glands, que serait-il advenu de l’humanité ? Il y aurait sans doute des chênes partout et on aurait mangé des galettes à la farine de gland. Les humains, au lieu de faire la guerre, se consacreraient aux choses essentielles. S’asseoir au fin fond de soi-même, là où la paix ronronne son hymne à l’amour et à la joie. Les femmes composeraient des haïkus et liraient des poèmes écrits sous la clarté de la lune et des étoiles. Les hommes tricoteraient des gants, des bonnets et des écharpes.Tout le monde ferait de la musique et danserait le tango, la valse ou le flamenco.

- ça y est j’ai plus de glands ! a dit le garçon en fouillant dans son sachet en papier.

- Y’a des chênes dans la combe, si tu veux on descend et on va en ramasser ?

Et c’est ce qu’on a fait.


Texte et photo : Anna Blum


extrait final du merveilleux film "L'éternité et un jour" de Theo Angelopoulos



 
 
 

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