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La mécanique émancipatrice

Adrien Vieillet


Après une enfance dans la campagne sarthoise, des études à Rennes, quelques années passées à retaper sa maison bretonne face à la baie du mont St Michel, Adrien a posé ses bagages dans le Diois. Bien décidé à y mener une vie en adéquation avec ses valeurs d’écologie, de partage et ses passions de l’invention mécanique au sein des communautés du libre.

Anna Blum : Adrien, l’expression de « bricoleur de génie en herbe » me vient à l’esprit quand tu relates la naissance de ta passion.

Adrien Vieillet : j’étais un garçon très solitaire. J’adorais inventer des machines de toutes sortes à partir de moteurs Lego, de carton et de scotch. Ma première machine, je l’ai fabriquée à l’âge de douze ans. Il s’agissait d’un distributeur automatique de bonbons construit dans une boîte à chaussure. Une pièce glissée dans une fente provoquait un contact électrique grâce à du papier alu de chocolat et actionnait un moteur Lego. Plus tard je l’ai perfectionnée pour qu’elle fonctionne avec une carte de crédit.

AB : le choix de tes études s’est donc imposé assez naturellement ?

AV : après le lycée, je me suis dirigé vers une prépa math sup technologique au Mans, puis le génie mécanique et productique à l’IUT (Institut Universitaire deTechnologie) de Rennes. À peine mes études terminées, une boîte de robotique industrielle m’a proposé

un contrat à durée indéterminée pour programmer les robots de l’industrie automobile. Le travail était assez sympa. On bossait en petites équipes de nuit ou quand les lignes étaient à l’arrêt. Par chance, j’ai pu être formé par un « ancien », qui connaissait l’usine comme sa poche. D’aucuns, avec qui on était amené à travailler en équipe, ne tenaient par contre pas leur langue en poche, et la direction préférait se passer de leur savoir-faire. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à voir les choses d’un œil critique. On m’appelait à l’autre bout de la France pour dépanner une chaîne de production. L’usine vendait mon service dix-sept mille euros et moi, je devais me battre pour qu’on me paye la prime promise de mille euros ! Le fait de devoir me passer de vie sociale, de me montrer malléable et corvéable à merci, commençait à me peser. J’ai accepté d’aller travailler pour une usine au Brésil et là, j’ai été confronté àl’esprit colonialiste et raciste de certains expatriés. J’avais honte d’être Français ! Et, quand un ami ingénieur m’a confié que son entreprise l’employait à penser l’obsolescence programmée des durites de voiture, j’ai compris qu’il était temps pour moi de partir vers d’autres horizons.

AB : l’idée te vient alors de construire des imprimantes 3D ?

AV : pas tout de suite ! J’avais envie de me fixer à un endroit. J’ai acheté et retapé une maison en Bretagne, où j’ai expérimenté avec bonheur la vie au sein d’une sorte de petit habitat groupé. J’ai aussi goûté au monde du théâtre.

Je fabriquais des décors et ai tâté de la profession d’acteur. Très vite j’ai compris que d’autres possédaient plus la fibre que moi. Ensuite, j’ai voyagé en France et dans les pays de l’Est avec le groupe « Oriental Taraf Express » (je joue de la clarinette). Après ces épisodes, amoureux, j’ai rejoint ma belle en Drôme. J’avais alors le projet de construire des imprimantes 3D et quand j’ai rencontré Nicolas, un ingénieur-électronicien, je lui ai proposé qu’on s’associe. J’allais enfin pouvoir renouer avec le côté technique de ma formation, retrouver le langage de la robotique, en plus simple.

AB : c’était la motivation essentielle ?

AV : le projet nous plaisait avant tout parce qu’il permet la réappropriation des moyens de production. On se veut à l’opposé de l’obsolescence programmée, dans l’esprit du développement durable. L’idée aussi d’amener un service en milieu rural. Nos clients, on les rencontre entre autres sur le marché. Ils viennent nous trouver avec leur robot ménager dont une pièce a lâché et dont le vendeur soutient qu’elle n’existe plus.

AB : comment fais-tu pour retrouver la pièce manquante ?

AV : il faut commencer par chercher le dessin sur internet. De plus en plus de personnes partagent leurs données dans ce qu’on appelle l’échange libre ou en Open source. Un Américain met le dessin du bouton de sa gazinière sur internet, accessible à tous. Les imprimantes 3D existent depuis les années '80. Ces grossesmachines, compliquées, coûtaient très cher. En 2005 un universitaire anglais a développé ces compétences dans l’esprit des communautés du libre. L’idée que tout un chacun puisse mettre au point et utiliser ces engins a enthousiasmé toute une communauté. Les Italiens d’Arduino ont commencé à élaborer des cartes électroniques pour des laboratoires ainsi qu’à l’intention de monsieur et madame tout le monde. D’autres ont bossé sur les machines et des logiciels, le tout en open source. On trouve un site bien achalandé en dessins et échange de pièces sur MakerBot. Jusqu’à 2012, cette entreprise (qui a confectionné ses appareils en profitant des idées de tout le monde) a été rachetée par d'autres qui ont mis quatre cents millions d’euros sur la table, exigeant d’abandonner l’open source et ils ont commencé à produire des machines fermées. Depuis on en entend parler dans les médias ! Heureusement, leur site d’échange de pièces est encore libre pour le moment.

AB : on trouve en effet beaucoup de dessins sur leur site. Mais quel peut bien être l’intérêt de fabriquer un décapsuleur ?

AV : aucun ! Ni un bol ou une fourchette... Par contre, la partie fragile d’un blender peut sauver le robot de la décharge. Le but consiste à remplacer des objets introuvables, pas de remplacer l’artisan du coin, le bois ou le métal. On fabrique par exemple la poignée d’un pistolet de tuyau d’arrosage qui casse toujours au bout d’un moment. Au lieu de racheter tout le pistolet à vingt-cinq euros, les maraîchers pourront juste changer la poignée pour quelques euros. Une poignée qui cette fois ne cassera plus !

AB : mais comment une imprimante peut-elle réaliser une « vraie » pièce en 3D ?

AV : tout d’abord, quelqu’un la dessine. Un logiciel transforme ensuite ce dessin en code pour la machine et on la paramètre. Hauteur des couches (couche par couche), nombre de périmètres, pourcentage du remplissage, vitesse, supports... Même en plastique la pièce reste solide. On travaille beaucoup avec du fil en amidon de maïs qui se comporte de manière souple, flexible et le remplissage en nid d’abeille renforce la pièce.

AB : a-t-on évalué l’énergie grise, l’énergie qui sert à la fabrication ?

AV : les grosses industries ont besoin de moules pour réaliser un objet. Il faudra des millions de pièces pour les rentabiliser. De là aussi l’idée de l’obsolescence programmée. Avec une imprimante 3D, tu produis juste ce dont tu as besoin et souvent la pièce contient quatre-vingts pour cent de vide, ce qui économise de l’énergie, de la matière première et du temps. D’ici peu, nous investirons dans une machine pour refabriquer du fil avec les déchets. Zéro déchet donc.

AB : d’autres projets sur le métier ?

AV : une compagnie de théâtre veut qu’on leur fabrique le mécanisme pour faire monter et descendre des boîtes contenant les oracles du Yi-King. Les créations de notre association « Machins Machines » vont du ventilateur pour bétonnière à des pièces pour tracteur, de petites pièces pour les voitures (qui éviteront de dépenser deux-cents euros quand il suffit de remplacer une seule partie de l’ensemble à vingt euros) ou d’éoliennes décoratives. Mais on projette aussi d’en réaliser de vraies !

L’autre aspect de notre travail concerne la transmission. Une animation est prévue dans une maison de jeunes à Valence autour du recyclage, refaire soi-même, etc. L’open source intéresse énormément le monde éducatif. Beaucoup d’applications existent. L’informatique au cœur du microprocesseur, l’électronique, la mécanique... Ce boulot allie à merveille ma passion de la mécanique, des machines et les valeurs de solidarité et de partage aux-quelles je suis attaché !

Lien vers le site d'Adrien et Nicolas: www.machins-machines.com

Photos et interview: Anna Blum

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