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annelauwersblum

La lumière et l’amour

Il n'est jamais trop tard pour dire je t'aime!




Ava repasse avec application une chemise de son mari, quand le téléphone retentit. Elle se précipite, se prend les pieds dans le cordon du fer, renverse la cruche d’eau gardée à portée de main pour la vapeur, et s’étale de tout son long, traversée par une secousse électrique trop puissante pour son petit gabarit. Elle se voit pourtant attraper le combiné et articuler :

— Allo ! C’est qui à l’appareil ?

— C'est moi mon amour, je t’aime ! Tu te souviens de notre premier baiser au pamplemousse ? Et le type du parc qui reluquait tes jambes quand j’ai glissé ma main sous ta jupe ? Le règlement, c’est le règlement ! Il ricanait, mais j'te fiche mon billet qu'il se rinçait l'oeil. Il aurait bien voulu être ma place, le vieux !

— Toi, Marco ? J’le crois pas ! T’étais occupé à ton bureau... Je viens de te voir là, dans la salle à manger !

— Je ne savais pas comment te le dire. Ça me gênait. Alors je ne l'ai plus dit. À force, j’ai complètement oublié à quoi ça ressemblait et à la fin je l’ai perdu. Tu comprends, Ava chérie?

— Quel charabia ! Tu parles de quoi au juste, Marco, et comment tu peux me téléphoner sans téléphone, assis devant ton ordinateur en train de pester sur ces maudits algorithmes comme d’hab ?

— Je sais mon amour, c’est la lumière et d’un coup la clarté se fait, et je me souviens, et je veux te le dire au plus vite mon soleil doré, mon blé cuit, mon chardonneret sautillant : je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime…

La voix s’éloigne. Ava se voit raccrocher. Elle se sent gonflée d'orgueil, pétillante comme la clairette (bio ça va de soi!), à flotter au-dessus de son propre corps. Elle se félicite de ce qui lui arrive, même si elle n’y comprend rien. Parce qu'en trente ans de vie commune, jamais Marco ne lui a fait une aussi belle déclaration !

Texte: Anna Blum

Photo: Pierre Giet, ciel de Marignac 2022





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