Caroline Zenatti
Dans sa quête d'une vie plus simple en contact étroit avec la nature, Caroline a décidé d'habiter, une année ou plus, une yourte, dressée dans le repli d'une prairie le long de la rivière "Le Bez", à une dizaine de kilomètres de Die.
Anna Blum : Caroline, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ton nom n’est pas d’origine italienne ?
Caroline Zenatti : hé non ! Mes grands-parents paternels sont Juifs d’Algérie et d’après ce qu’ils m’ont raconté, notre patronyme proviendrait d’une tribu berbère sédentarisée, les Zenat. Au 19e siècle, une loi a francisé tous les Juifs d’Algérie et à partir de ce moment, ma famille est devenue française.
AB : tu es née en Algérie ?
CZ : non, je suis née près de Grenoble, le 28 février 1984. Mon père a pour l’essentiel travaillé dans l’éducation nationale et ma mère exerçait le métier d’infirmière. Deux vocations qui les ont entraînés loin de la France. J’ai ainsi vécu de mes deux ans à mes neuf ans à Tahiti, avant de me fixer à Grenoble après le lycée. Mes parents y sont revenus l’année dernière, après avoir passé huit années sur une petite île de Nouvelle-Calédonie.
AB : ton signe astrologique — celui du poisson — renvoie au mot fluidité. La notion recouvre l’idée de mouvement dans l’eau. L’image te parle ?
CZ : complètement ! J’ai grandi au bord de l’eau, je m’y sens à l’aise. Regarder l’océan équivaut à en ressentir la puissance. Pour le moment, je suis plongée dans le livre : « Le chaos sensible », dont le sous-titre « Création de formes par les mouvements de l’eau et de l’air » évoque la danse. Un recueil passionnant aux dessins magnifiques. Par exemple, ici le fémur avec toutes ses stries et ses spirales (mes deux os préférés, l’omoplate et la crête iliaque, sont bien visibles dans le corps qui bouge!) J’aime l’histoire qui raconte l’apparition de la première cellule. Celle-ci aurait jailli suite à la friction entre l’eau et la plaque terrestre. Chacune de nos cellules garde la mémoire de l’océan et les liquides du corps induisent les formes spiralées, le confort, la fluidité.
AB : l’eau est pour quelque chose dans ta passion de la danse ?
CZ : l’eau, la découverte de la fluidité sont venues après. Au lycée, ma prof d’éducation physique a proposé des ateliers axés sur l’improvisation en danse. Cette démarche a immédiatement résonné en moi. L’improvisation en lieu et place de la notation chorégraphique, parce que j’y voyais un formidable moyen de stimuler la recherche de liberté, d’autonomie. Grenoble était à ce moment-là la ville où la danse contact improvisation (que je pratique depuis huit ans) avait véritablement pris racine. Grâce entre autres à Isabelle Üski, qui continue de populariser la discipline au travers de l’association « Chorescence ». En parallèle j’ai découvert, appris et travaillé dans l’éducation populaire. Deux entités très fortes dans ma vie qui se retrouvent parfois en concurrence. Aujourd’hui le projet de les rassembler par le médium de la danse s’impose à moi. Entrer en relation par le biais du mouvement représente un sacré défi, mais recèle aussi un potentiel inépuisable. Une des gageures est de dépasser le doute qu’engendre le statut d’indépendant ! Il s’agit de « se vendre ». Même si je n’ai pas envie de ce rapport-là, il faut pouvoir affirmer : « voilà ce que je propose, ça vaut ce prix-là et je peux vous expliquer pourquoi ».
AB : tu continues, parce que ta passion t’apporte ce qui n'est pas quantifiable ?
CZ : quand je ne danse pas pendant un moment et que je reprends, la sensation de justesse m’envahit. Je sais alors avec certitude que voilà ce qui me plaît, qui me fait du bien, qui me passionne et que je désire partager. Même s’il subsiste des doutes : ne plus me sentir légitime par exemple. Mais les aspects difficiles sont contrebalancés par le bonheur de la pratique.
AB : à part le contact impro, quelles autres méthodes te nourrissent ?
CZ : le body mind centering ou BMC, littéralement : centrage corps esprit. Une éducation somatique qui permet la compréhension des systèmes et tissus du corps au travers l’affinage de la perception. Je pense aussi au mouvement authentique. Ce genre de discipline ne nécessite aucune compétence physique préalable, et apporte des outils qui ouvrent les champs des possibles. En fin de compte, j’ai un regard politique sur le rapport au mouvement et à la danse. Tous les corps sont permis ! L’apprentissage de l’autonomie, la liberté d’effectuer des choix, examiner ses habitudes, conduit à la bonne entente avec son corps. Et se sentir bien avec soi-même permet d’établir de meilleures relations avec l’autre. Pratiquer le mouvement authentique m’incite à revenir à plus de simplicité dans la vie quotidienne. Débrancher le mental, aller vers la lenteur. Ce qui se trouve en jeu s’appelle l’inconscient. Il est passionnant d’observer à quel moment ce qui demeurait inconscient devient conscient. Si la méthode peut servir dans un cadre thérapeutique, moi je l’aborde comme support à la créativité.
CZ : l’inconfort, la colère, la tristesse... Toutes les émotions sont bienvenues, mais on revient à la notion de fluidité. L’émotion aussi est fluide. Le danseur laisse affleurer ce qui se présente, le témoin contemple. Ni l’un ni l’autre ne jugent. Il s’agit juste d’observer et d’abandonner tout discours, de laisser couler, comme l’eau de la rivière va vers l’océan.
Site de l'association "chorescence" : http://www.chorescence.org/
Photos et interview: Anna Blum
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