L'ultime missive
- annelauwersblum
- 28 sept.
- 2 min de lecture

L’incident se produisit au troisième jour des vacances d’été au bord de l’océan. Les puissantes vagues en rouleau dépassaient allègrement un mètre cinquante, ce qui pour un adulte de taille moyenne représente déjà un beau défi. Autant dire que la plage était surveillée du matin au soir, et que mieux valait garder les petits par la main et à l’oeil. Alors que les grands se laissaient tourbillonner comme s’ils étaient dans un parc d’attraction, on vit de ci de là des gens sortir de l’eau en grimaçant. Très vite le drapeau rouge fut hissé et les sauveteurs sonnèrent la fin de la baignade. Certains frissonnaient de brûlures dues à de longs filaments bleus incrustés dans leur peau, d’autres vomissaient, d’autres encore couraient hors de l’eau comme s’ils venaient de croiser le grand requin blanc. Les créatures qui échouèrent sur la plage n’étaient pas des méduses, malgré leur apparence gélatineuse, mais des Physalies. Autrement dit, Vessies de mer, ou Galères portugaises... Interdiction de les toucher : leur venin reste dangereux même deux semaines après leur mort.
Un banc de milliers de Physalia Physalis venait d’accoster sur les plages landaises !
Poussées par le vent, elles provenaient de Galice et plus loin de zones subtropicales. Grâce à leur flotteur rempli d’air, et d’une crête pourvue d’une excroissance qui ressemble à une voile, elles vont là où le vent les pousse. Leurs longs tentacules bleus servent à la fois d’ancrage, à piéger leur nourriture, et à se défendre.
Notre contrariété, notre peur, se métamorphosa sur le champ en curiosité. Qu’est ce qui poussait ce « Superorganisme » (ainsi nommé par les biologistes, parce qu’elles ne peuvent survivre que collectivement), à quitter leur habitat naturel, c’est à dire les mers subtropicales et venir mourir sur le plages plus au Nord ? Les bouleversements climatiques bien sûr ! Tout en observant ces étranges créatures et en essayant d’en savoir plus sur elles, une drôle de sensation m’envahit. L’échouage d’une bonne partie d’entre elles était une lettre ouverte à nous autres humains. Cette lettre disait qu’à cause du réchauffement dont nous sommes responsables, l’océan s’acidifie, les coraux meurent, le plancton diminue, et que sans plancton, il n’y aura plus d’oxygène. Ni pour les bipèdes que nous sommes, ni pour remplir les flotteurs des physalies. Leur signature était lisible sur le sable par petits tas d’une étrange et triste beauté.
« On a fait notre part en venant mourir sur vos plages. » Disait encore la missive. « Alors, faites le reste, secouez-vous, mer...!»
Texte : Anna Blum
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