C’était en avril. Il y avait encore de l’eau dans les bassines. Toutefois, elles n’étaient plus reliées par le flux torrentiel du tôt printemps. Je m’y arrêtais à chaque fois que je remontais chez moi, de quoi prendre un bain glacé quand le soleil était de la partie. Y’en a qui font beaucoup de boucan, qui crient et gesticulent afin d’exorciser le froid. Ma technique est diamétralement opposée. Si j’enlève à vive allure chaussures et vêtements, je glisse dans l’eau de façon lente et silencieuse, en accueillant l’étreinte de l’eau comme celle d’une personne aimée.
Ce jour-là, je vis de loin un truc qui n’aurait pas dû se trouver là. Un truc noir et immobile. Je pensai d’abord à un morceau de bois, mais il s’avéra que c’était un crapaud. Un crapaud mort. C’est du moins ce que je pensai à le voir là en shavanasana, qui est la posture du cadavre dans le yoga traditionnel (une de mes postures favorites, bras et jambes écartés du corps, puis laisse aller ton poids dans le sol comme si tu flottais dans l’eau). C’était sans doute une des dernières fois que je pouvais m’adonner à mon petit rituel, je n’allais pas me laisser impressionner par un crapaud mort ! Je lançai une petite pierre dans sa direction. Pas de réaction. J’en pris une un peu plus grosse qui provoqua quelques vaguelettes, le crapaud sortit de sa léthargie et se réfugia vivement sous le socle du rocher immergé. J’étais pas tout à fait rassurée. N’allait-il pas se venger quand je tremperais dans l’eau ? Au moment de glisser un pied dans la bassine, j’aperçus autre chose d’inhabituel dans l’eau. Plus exactement : sur l’eau. Deux fines tresses noires se croisaient à la surface, reliant les rochers de part et d’autre. Ne l’ayant jamais vu, je n’étais pas sûre, mais intuitivement je pensai à des œufs de crapauds. Chez moi, je filai vérifier sur le net. Et oui, c’était bien ça ! Madame crapaude venait de mettre au monde une progéniture nombreuse. D’où la posture de shavanasana! Je retournai voir l’évolution des têtards. La tresse avait fini dans le fond de la bassine. Puis l’eau disparut. Aucun têtard ne vit le jour. Pauvre madame crapaude, elle s’était manifestement gourée d’aire de reproduction, d'aire de repos !
Anna Blum
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