Christian Bobin
"Le plâtrier siffleur", extrait
Caetano Veloso
Tonada de luna llena
« Habiter poétiquement un monde malheureux c’est très difficile, mais c’est faisable. Et c’est d’autant plus nécessaire que le monde se perd, s’abîme, se déchire. C’est d’autant plus nécessaire que s’ouvrent ici ou là des puits de lumière. Ce n’est pas l’apanage de ce qu’on appelle les artistes. C’est une mère qui remet l’ourlet du drap au bord du visage de son enfant endormi, et c’est comme si elle prenait soin de toute la voie étoilée. À la même seconde, le geste de cette mère se double. De la même main, elle couvre son enfant pour qu’il n’ait pas froid et apaise tout le noir qu’il y a entre les étoiles dans le ciel. Ce geste est tellement simple qu’il a des résonances infinies. Je crois que, au fond, c’est ça la poésie, c’est juste un art de la vie. Cette femme est poète à son insu. Il n’y a que les poètes qui prennent le monde au sérieux, ceux qui ont réputation d’être distraits, étourdis, de ne pas mesurer les choses, de ne pas en connaître la pesanteur. Ce sont eux, eux seuls, qui connaissent la pesanteur, le drame des choses et aussi ce qu’elles contiennent de lumière. Ce sont les seuls voyants et les seuls respirants dans ce monde. Je parle d’une petite tribu dispersée et qui n’est pas faite de gens qui écrivent ou qui peignent, esthètes ou artistes. Il s’agit juste d’une manière humaine d’habiter le monde. Parce que dire habiter poétiquement le monde ou habiter humainement le monde, au fond, c’est la même chose. »
Photo AB: Nuit des étoiles à Marignac en diois 2024
Merci infatigable Anna, Barnave n'avait pas ce ciel clair ! Pierre