Naissance et exil de Bulin
Lorsque Bulin naît
les araignées tiennent séance
et un bal périlleux, dans les airs
mais la musique n’est pas belle
et Bulin vagit
et tout ce qu’il vagit sont des slogans
dis donc ! Les cantiques ne sont pas si sonores
puis il rit aussi
rit à la juste mesure
d’un vrai candidat en campagne présidentielle
alors, la jument estime qu’il a grandi
il fait un pas et sort de son berceau
d’une peau de mouton séchée
fait un attaché-case
dans lequel il glisse un tas
de couches-culottes hautement confidentielles
il prend ses fonctions dans le grand building du gouvernement
à l’intérieur
aucun bal
le comité de grève ministériel
est en train de procéder à des élections
sur du papier à cigarettes ils écrivent plein de noms
lorsqu’ils ont fini, ils font la grimace
à cet instant Bulin arrive
de son écurie entre dans le bâtiment où se tient la réunion
et grave comme un marbre noir
se tient debout, tend un doigt
y enroule les câbles des haut-parleurs en cuivre
et dit : le pain
Dans son cahier n°6 « Changer le monde », la revue Apulée publie une dizaine de pages sur le poète chinois Gu Cheng, né à Beijing (Pékin) en1956.
Lhistoire de Bulin, personnage truculent inventé par Gu Cheng quand il était enfant, et dont il reprit l’écriture en 1981, a tout de suite piqué ma curiosité.
La vie de Gu Cheng est marquée par la violence (exil forcé quand il est enfant, déscolarisation durant la révolution culturelle prolétarienne, contestations estudiantines sur la place Tian’Anmen, démêlées avec le pouvoir quand il devient un poète reconnu par ses pairs, mort violente...)
Il trouve l’exil en Nouvelle-Zélande avec sa femme Xie Ye, poétesse shangaienne. C’est là que naît leur fils Mu’er. Leur vie mouvementée, faite de conférences et lectures partout dans le monde, d’une expérience d’un ménage à trois (le couple est rejoint sur l’île par la jeune Li-Ying, rencontrée à un colloque à Beijing), connaît une fin tragique le 8 octobre 1993. Le corps de Gu Cheng est retrouvé pendu à un arbre. Sa femme, mortellement blessée, meurt à l’hôpital. Malgré l’ouverture d’une enquête, ces morts ne seront jamais élucidées.
Voici un extrait de la la lettre que Gu Cheng envoie à son éditeur à propos du personnage de Bulin.
« Bulin est un personage à la Sun Wukong, à la Don Quichotte, qui a provoqué de grands remue-ménage dans mon esprit quand j’étais petit… Puis le temps passa jusqu’à un midi de juin 1981 où je me réveillai brusquement, dans mes rêves s’était produite une fission, Bulin était partout, et avec lui son monde extraordinaire… Lorsque Bulin fut écrit, je l’évitai ensuite longtemps (bien qu’il mette en joie nombre de mes amis), l’éclat de son caractère introspectif, de son anti-lyrisme était trop puissant, m’effrayait. Jusqu’à ce que tu l’édites. Je commençai alors à pouvoir le considérer à nouveau à travers le regard des lecteurs et des critiques. Par sa forme, il ressemble beaucoup à une fable contemporaine ; du point de vue du contenu, il est très réaliste. C’est comme un réalisme magique d’Amérique Latine. Quoi qu’il en soit, c’est notre monde qu’il nous montre, et non un paradis flottant dans l’imaginaire. Mars 1983 »
Ci-dessus un extrait du « Dossier Bulin » de Gu Cheng. Si, comme moi il vous fait rire d’un rire mêlé d’appréhension, de curiosité, de stupéfaction, n’hésitez pas à aller à la pêche de ses bouquins !
Anna Blum
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