À l’annonce de la mort de Paul Auster, un vieux souvenir à surgi sans crier gare.
Il y a trente ans de ça, le facteur déposa une enveloppe crème, ornée d’un timbre estampillé à Anvers dans ma boîte aux lettres. Mon nom y était calligraphié d’une belle écriture sépia. J’en sortis quatre feuillets de la même couleur ivoire, remplies de la même écriture à la fois précise et généreuse. J’étais dans ma quatrième vie. Celui qui me l’envoyait avait fait partie de la seconde, celle de la fin de l’adolescence et du tout début de l’âge adulte. Nous rêvions alors d’un autre monde où l’amour, la tolérance, l’entraide et la fête seraient la loi. Ma troisième vie m’éloigna définitivement du camarade qui m’écrivait et de sa région où on ne parle pas le français. Ma quatrième vie n’avait fait qu’élargir le fossé. J’étais mariée à l’homme qui partage toujours ma vie, et mère de quatre enfants. Je plantais des pommes de terre, semait des salades au jardin, travaillais l’autre moitié du temps à l’extérieur de la maison.
Dans sa lettre, mon ami relatait à la manière d’un détective, les hasards, coïncidences, bifurcations, et opportunités soudaines qui s’étaient présentées dans ses recherches pour me retrouver. Il avait rêvé qu’on marchait ensemble sur une plage, et qu’on discutait philosophie et politique, comme dans notre vie d’avant. Sa compagne, dans un élan du coeur dont les femmes ont le secret, y avait vu le signe qu’il devait me retrouver. Sa quête avait durée plusieurs années. Il avait laissé tomber les bras à quelques reprises, puis une nouvelle piste se profilait et il repartait débusquer le moindre indice.
La nouvelle de la mort de Paul Auster, dont je fus une fervente lectrice (mon pseudo Anna Blum est inspiré de son roman « Le voyage d’Anna Blume »), m’a immédiatement fait penser à la recherche labyrinthique de mon ami. Nous nous étions revus deux fois. Il avait été patron d’un bistrot populaire, puis journaliste. Il aimait comme moi les livres, y compris ceux de Paul Auster. Tous deux, chacun à leur façon, m’ont aidé à garder l’espoir en l’humain, en ma propre humanité possible. À l’annonce de la mort de Paul Auster, un sentiment de gratitude m’a envahi pour toutes ces vies frémissantes, familières ou mystérieuses, qu’il a couché dans ses livres. Je l’ai imaginé dans son dernier voyage, porté par la chanson puissante de Richard Desjardins : Le coeur est un oiseau.
Que cette chanson lui soit un viatique !
Texte et photo: Anna Blum
Par-delà les frontières
Les prairies et la mer
Dans les grandes noirceurs
Sous le feu des chasseurs
Dans les mains de la mort
Il s'envole encore
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Le cœur est un oiseau...
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