Eve Beaudoin
Dès qu'elle a un moment de liberté, et pour se reposer de son travail de serveuse dans un relais touristique, Eve part retrouver « ses » chevaux dans les prairies de montagne du Haut-Diois. Là où elle a passé son enfance, avec ses parents, son frère et ses deux sœurs.
Anna Blum : explique-nous, Eve, comment est née ta passion des chevaux ?
Eve Beaudoin : depuis toute petite j’aime les chevaux. Je monte depuis l’âge de cinq ans avec mon père, mes sœurs et ma mère. Mon frère est le seul à n’avoir pas pris goût aux balades à cheval. Plus tard, j’ai eu envie de pouvoir créer mon propre élevage et je suis partie suivre les cours au collège « Sports et nature » à La Chapelle en Vercors, qui comporte une section équine. J’y suis restée quatre ans. Malheureusement, je manquais d’habitude avec les tous gros chevaux et l’un d’entre eux m’a plaqué contre la paroi d’une stabule (un box de la largeur du cheval). J’ai eu très peur et les moniteurs ne m’ont pas aidé à surmonter ce traumatisme. Du coup, j’ai arrêté la section équine. Il m'a fallu du temps, mais je suis revenue vers eux. J’ai décidé de suivre un BEP (brevet d’études professionnelles) à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à nouveau dans cette option, où j’ai eu l’opportunité de pratiquer des stages. Dabord dans la Loire avec des Lusitaniens, des chevaux de dressage, ensuite, toujours dans le cadre de l'école, dans un centre équestre pour passer les Galops (des niveaux d'équitation).
On s’y exerçait aussi au trek et à l’attelage. Mon bac je l’ai passé en alternant les cours à Voiron et les stages près de Gap, avec des chevaux d’endurance, des purs sangs arabes. Après ça, j’ai suivi un BTS (brevet technicien supérieur) à
Carmejane, dans les Alpes de haute Provence, en agriculture, axé sur la gestion d’entreprise, la comptabilité... et maintenant, je travaille comme serveuse dans un restaurant !
AB : mais c’est provisoire, tu vas développer un projet en relation avec ta passion des chevaux ?
EB : créer mon propre élevage s'avère trop compliqué. Je me verrais obligée de participer à des concours, de les gagner, de former mes chevaux à la compétition et ça, je ne le veux pas. Dans le contexte actuel, les acheteurs deviennent aussi plus rares. Posséder un cheval coûte cher. Louer les terrains, les box en hiver, se procurer du foin, tous les extras ou les imprévus... Rien que le ferrage revient à soixante euros par mois ! De plus, le métier que j’ai préféré dans mon apprentissage est celui de palefrenier. Sortir et rentrer les chevaux, les préparer, les brosser, leur parler, voilà ce que j’aime. Pour vivre de ce métier là,je devrais pouvoir travailler dans un grand élevage et il n'en existe pas près de chez moi. Certains propriétaires cherchent aussi des box, des soigneurs pour leurs bêtes vieillissantes ou malades. Mais l’endroit où je vis est trop éloigné des centres urbains (où habitent la plupart des propriétaires) et personne ne va parcourir cent ou cent-cinquante kilomètres pour dire bonjour à son cheval !
AB : c’est pourquoi tu soignes ceux de tes parents ?
EB : je m’occupe surtout de les débourrer. Ce qui signifie leur donner un pré-dressage. Je leur apprends à recevoir la selle, à accepter d’être montés sans qu’ils se mettent à ruer... J’aime le débourrage qui permet ce contact direct avec l’animal que j’apprécie par-dessus tout. Dès que j’ai le temps, je vais les chercher et les emmène à la carrière (une parcelle clôturée) où je les brosse, les selle, les habitue au mors, leur apprend à trotter et galoper. Le vrai plaisir consiste aussi à les monter, d’autant que les balades ne manquent pas dans le coin. J'ai un merveilleux souvenir d'une randonnée de quatre jours sur le plateau du Vercors !
AB : d'autres souvenirs qui t’ont marquée ?
EB : quand mes parents sont passés de l'élevage de brebis à l'élevage de chevaux, le premier poulain qui est né. Toute la famille s’est précipitée pour contempler cette merveille, le caresser. Nous étions impressionnés de le voir se mettre debout et gambader, une heure seulement après sa naissance, alors qu'il venait de passer onze mois dans le ventre de sa mère ! Je me rappelle aussi les enfants autistes avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. L’entente immédiate entre ces enfants et les chevaux. Comme s’ils s’alignaient, se comprenaient instantanément. Même les animaux les plus vifs, les plus méfiants deviennent doux à leur contact. Il faut comprendre que les chevaux se comportent en proie et non en prédateur. Ils se montrent très peureux et sursautent au moindre mouvement brusque.
AB : pourrais-tu te résoudre à renoncer à ce lien privilégié avec les chevaux ?
EB : quitter la région pour une raison particulière ? Si je ne peux pas faire autrement... mais je préfère ne pas l’imaginer !
AB : que t’apportent-ils de si précieux ?
EB : la sérénité. Avec eux je me sens bien, comme apaisée de l’intérieur. Toutes mes tensions, tout ce que j’ai dû refouler, disparaissent à leur contact. Ils me surprennent aussi. Chaque animal est unique, possède son caractère propre. Certains aiment les câlins, d'autres les détestent. Certains s’avèrent faciles à apprivoiser, d’autres restent rétifs. Ils naissent au même endroit, sont élevés de la même manière et pourtant diffèrent du tout au tout.
Comme les êtres humains en fin de compte !
Photos et interview: Anna Blum
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