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Inventer l'autonomie collective en cultivant la terre

Pierre

 

Originaire de Nancy, Pierre étudie le génie civil en formation courte après son bac. La matière lui réussit et il décide de se lancer dans les études d'ingénieur pour repousser son service militaire. Son diplôme d'ingénieur en hydraulique en poche, il part travailler 3 ans à Hong-Kong pour une grosse entreprise de Travaux publics, puis 2 ans à Pékin en tant que programmateur informatique pour une start-up. De retour en France, il travaille 5 ans sur des chantiers de travaux publics avant de changer de vie et de s'installer dans le Diois.

 

Anna Blum : Pierre, pourquoi ce changement radical ?

Pierre Marcandella : j'ai très vite compris que l'objectif des entreprises pour lesquelles je bossais était de faire un maximum d'argent, quel qu’en soit le coût humain ou environnemental. Dans ces milieux-là, ce qui compte ce n'est pas le bien commun, mais comment exploiter les hommes et la nature à son seul avantage. Il m'est alors apparu que travailler pour ces entreprises revenait à cautionner leur agissement. D'autre part, j'ai réalisé que notre confort occidental se paye sur le dos d'autres personnes, ailleurs dans le monde. Il fallait alors que je change de mode de vie.

AB : comment t'es-tu ensuite retrouvé dans le Diois ?

PM : en 2009, j'ai bénéficié d'un congé individuel en formation et j'ai choisi de me former en maraîchage à Die. J'ai ensuite passé deux ans sur une ferme collective dans le haut Diois. Quand celle-ci a été à vendre, on s'est regroupé à quatorze personnes de tout horizon pour la reprendre, à vouloir mener une réflexion pour développer autre chose, basé sur le concept d'autonomie collective.

La vente ne s'est pas faite. La nécessité d'habiter le même territoire s'est imposée et le groupe est alors passé à sept personnes. Nous avons cherché et visité d'autres lieux... Les fermes étaient trop chères et demandaient trop d'investissement. On s'est donc adapté et pour le moment chacun a son logement, mais nous partageons des potagers, une pépinière, un verger, des cueillettes...

AB : c'est parce que le Diois se prête à la cueillette et la culture des plantes

médicinales et aromatiques que vous avez élargi le créneau du maraîchage ?

PM : c'est avant tout une question de rencontres. Beaucoup d'entre nous ont

des affinités et des savoirs concernant les plantes. Ce qui me fascine, me touche

avec les plantes sauvages est cette abondance, toute cette ressource à portée de

main et qu'on néglige, dont on a oublié les vertus. Ceux qui travaillent sur les

ressources premières, les agriculteurs par exemple, ne peuvent pas se concentrer

sur ce qui pousse autour d'eux ou ce qui pousserait le mieux sur leurs terrains

de culture. Ils doivent sans cesse trouver des compromis entre les besoins du

marché, ce qu'il « faut » produire, ce que la PAC va subventionner.

AB : de plus en plus d'agriculteurs se tournent vers le bio, les productions locales,

les circuits courts...

PM : ça ne représente qu'une toute petite partie des surfaces agricoles et les vrais

projets d'installation alternatifs ne sont pas aidés parce qu'ils ne rentrent pas dans les habitudes et les critères de l'agriculture actuelle. L'évaluation des projets d'installation et donc les aides qui peuvent en découler ne se fait que sur des critères économiques. La création de richesse autre que monétaire n'est aucunement prise en compte.

AB : avez-vous réalisé des projections sur la viabilité de votre projet ? Quel statut avez-vous adopté ?

PM : Notre réflexion porte sur la question des besoins et sur comment s'organiser collectivement pour y répondre. De là découle un questionnement sur l'alimentation, la santé, l'accès au logement, l'éducation, sur l'être ensemble, sur la propriété... On a monté une association qui nous permet de mettre plus facilement des ressources en commun. Pour l'instant, nous sommes plutôt orientés vers la production alimentaire (potagers, jus de fruits, farine, pain cuit au feu de bois...) et celle de plantes médicinales (culture, cueillette, distillations). Nous vendons certains de ces produits pour couvrir les frais de fonctionnement de l'association.

AB : de quel genre de matériel avez-vous besoin ?

PM : on est en train de monter deux alambics (l'année passée on utilisait ceux de copain pour nos huiles essentielles). On s'est aussi construit un séchoir avec déshumidificateur, dans un local prêté par la commune de Miscon.

AB : un séchoir solaire n'est pas adapté ?

PM : ce qui compte pour bien sécher les plantes, c'est une bonne ventilation. Jusqu'à présent, nos essais avec le soleil ont été aléatoires, parce que la température idéale de séchage ne doit pas dépasser 30 °C. Ce qui est presque impossible à réaliser avec la chaleur du soleil !

AB : comment vous faites pour trouver les terrains de culture ?

PM : grâce à du bouche-à-oreille. À Miscon on a 4 terrains, un appartient à la commune, les 3 autres à des habitants. À Luc,

on nous prête 2 terrains et nous devrions récupérer un petit verger. En tout, on cultive moins de 5 000 m2.

AB : vous vendrez vos productions sur le marché ?

PM : nous en avons fait quelques-uns. Jusqu'à présent on a vendu sans trop faire de publicité, uniquement par le bouche-à-oreille. Aujourd'hui, on a un petit catalogue pour présenter notre projet et nos produits . Pour l'essentiel des plantes médicinales et aromatiques, sous forme de tisanes, hydrolats, macérations, huiles essentielles...

L'année passée on a livré des plantes à des détaillants à l'étranger. Mais ça nous questionne pas mal et je ne pense pas que nous le referons. Plusieurs choses nous déplaisent. On ne sait pas qui les consomme, on ne trouve pas normal que nos plantes soient revendues entre 5 et 10 fois le prix qu'elles nous ont été achetées, ça nous dérange de leur faire faire trop de kilomètres...

AB : vous côtoyez d'autres associations qui sont dans cette démarche ?

PM : sans doute pas suffisamment, mais individuellement on est amené à rencontrer d'autres collectifs. À discuter sur ce qui fonctionne ou pas. C'est sûr que c'est important d'échanger sur les expériences de chacun !

AB : vous êtes plus des expérimentateurs de voies nouvelles que de simples producteurs de plantes aromatiques et médicinales !

PM : c'est sur qu'on est dans l'expérimentation ! D'un autre coté l'intitulé « producteur » renvoie à une image de professionnels et donc de personnes soucieuses de générer des bénéfices économiques ce qui n'est pas notre cas. Notre société adore les cases, quand je fais une rencontre, que je réponds à la question « qu'est-ce que tu fais dans la vie ? », souvent la personne va me mettre dans la case maraîcher ou producteur de plantes. J'ai l'impression que si tu n'as pas de profession, beaucoup de gens ont du mal à te situer et ça les trouble voir leur fait peur. Ce qui est frustrant et rageant, c'est qu'à l'échelle de notre société, ces peurs bloquent beaucoup d'initiatives. Notre société stigmatise les sans-emploi, les force à en chercher un sachant qu'il n'y en a pas. Ça me semblerait nettement plus porteur d'encourager la recherche de nouvelles pistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : mais, inventer du neuf implique une sorte de navigation sans boussole où la mémoire n'est plus d'un grand secours. Quel serait alors le nouveau système à mettre en place ?

PM : l'idée même d'un seul système applicable dans toute situation me semble un leurre. On est aussi arrivé à un moment de notre histoire où il faut compter avec l'épuisement des ressources naturelles. En ça, aussi bien le système capitaliste que communiste sont dépassés. Croire que de simples « ajustements » pourront suffire à sauver la planète, c'est sous-estimer l'ampleur du problème.

AB : le fait de travailler avec la nature, d'observer les multiples stratégies qu'elle met en œuvre peut être inspirant ?

PM : l'équilibre des systèmes écologiques repose généralement sur la très grande diversité d'espèces et de processus qui les composent. C'est ce qui le rend vivant. Si un système est peu diversifié, que ses éléments constitutifs se ressemblent, alors ce système est vulnérable. Il y a beaucoup de chance qu'il dégénère et que les maladies y apportent la mort au lieu de faire partie de la vie !

Pour contacter l'association "la margelle" à Die: contact@lamargelle.org

 

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