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Yannick naît avec le cordon ombilical enroulé deux fois autour du cou et est réanimé in extremis. Enfant, il passe beaucoup de temps seul, à rêvasser en silence. Ses six premières années, il vit aux Pays-Bas avec un père soudeur sur les pipelines, tantôt dans une caravane, tantôt à l'hôtel ou dans un gîte. Ses parents (il aura deux pères, tous les deux très violents, et deux mères), l'emmènent successivement en Autriche, en Yougoslavie, en Italie, en Afrique du Nord, avant de le laisser seul et sans argent à Nancy, à l'âge de seize ans. Grâce à une amie qui l'encourage, il participe au concours d'entrée des Beaux-arts de Nancy et est reçu cinquième sur quatre cents candidats. La guerre du Golfe et les questions existentielles qu'elle suscite, le décident à partir vers le Sud. Son urgence ? Construire une maison, une famille, vivre dans la nature sauvage au milieu des montagnes. Bref, miser sur la vie ! C'est ainsi qu'il atterrit dans la Drôme et dans le Diois.

Yannick Loyer

 

Le chant sacré de l'amour

 

 

Anna Blum : Yannick, des Beaux-arts à la musique il s'est passé du temps, comment s'est fait le passage ?

Yannick Loyer : j'ai tout d'abord rencontré une femme qui est devenue la mère de mes trois filles. Avec elle, on a décidé de partir en Drôme. Je bénéficiais d'une allocation grâce à mon statut d'objecteur de conscience et je suis devenu projectionniste au cinéma de Crest. J'ai aussi travaillé un temps dans le domaine agricole avant de suivre une formation en tourisme. Quelques mois plus tard, on m'a engagé en tant que gestionnaire du camping municipal à Châtillon-en-Diois. Notre troisième fille allait naître, mon travail me comblait, j'apprenais le métier du relationnel, de l'animation, de la créativité, de la gestion...

AB : et en même temps tu as construit ta maison ?

YL : au bout de quelques années, on a en effet pu acheter un terrain à Bonneval dans la vallée de Boulc, où je me suis mis à construire notre maison en bois. C'était une gageure de mener le tout de front ! Notre couple n'y a pas survécu. À force de développer mes muscles, de régler des conflits au camping, je m'étais « masculinisé ». La violence des hommes de mon enfance m'avait fait choisir et aimer le camp des femmes, des valeurs féminines. A notre séparation, j'ai décidé de reprendre la peinture avec une prof des Beaux-arts de Moscou qui vivait à Châtillon, et j'ai retrouvé un travail de projectionniste, cette fois au « Pestel » à Die. Quelques années plus tard, j'ai rencontré ma deuxième compagne. Pour lui plaire, j'ai appris la musique, j'ai appris à chanter.

AB : elle était donc musicienne ?

YL : oui, elle est chanteuse, a fait des études d'arts comme moi. On avait donc beaucoup de points communs. Je me suis mis à chanter avec elle et elle m'a introduit dans l'univers des chants du monde. J'ai commencé à suivre des cours et j'ai eu beaucoup d'encouragements de partout ! On chantait des chants de l'est en duo, on a créé le quatuor « Cantilam » avec des musiciens d'ici. J'ai pris en main la création d'un CD, l'organisation de concerts, je suis devenu président de notre association...

On est resté cinq ans proches l'un de l' autre. Un an après notre séparation, j'ai renoncé à tout projet avec elle, la relation était devenue trop conflictuelle. J'ai donc décidé de continuer seul. Je donnais des cours de chants dans le Trièves et la première chose que j'ai mise sur pied était le spectacle « Sur la route de Soi » avec une danseuse du Trièves, spectacle que je joue toujours avec Isabelle Iris, danseuse et professeur du Souffle Un (proche de la danse derviche). Ça parle de la réconciliation du principe masculin/féminin qui habite en chacun. Une sorte de pèlerinage vers l'Inde, dont le but serait la réconciliation avec nos parts sacrées.

AB : d'où vient ton attirance pour les chants sacrés ?

YL : pour moi, c'est ce qui se rapproche le plus de mon expérience de vie. Les voyages, les périodes solitaires si particulières de mon enfance, la promiscuité avec la mort, le fait d'avoir eu un métier qui m'obligeait à être en contact perpétuel avec les autres ... Mais, mon attirance pour les chants sacrés est surtout née de mon désir de silence. Tout est parti de là !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : tu as eu une formation spécifique en ce domaine ?

YL : j'ai suivi les cours des trois enseignants reconnus en France : Borys Cholewka, Iégor Reznikoff, Catherine Braslavsky. Au bout d'un moment, j'ai voulu aller à la source, sur le terrain. Mon désir de voyage était toujours présent. Mon passeport ne permettait qu'un séjour d'un mois en Russie. Des troubles commençaient en Ukraine. J'ai décidé alors de partir pour la Géorgie. C'était un bon compromis entre mes souvenirs d'Afrique du Nord et mon attrait pour la mélancolie slave. Je suis parti une première fois pendant trois mois. J'ai eu la chance de pouvoir entrer en contact avec des femmes tchétchènes avec qui j'ai crée une relation très forte d'amitié. La question des jeunes qui meurent pour le djihad nous questionnait beaucoup. L'année passée je suis retourné là-bas, et j'ai pu entrer en contact avec des chanteuses yézidis. Or, les Tchétchènes venaient d'attaquer les Yézidis dans les monts Sindjar (au nord de l'Irak). L'« Aznash ensemble » (un quatuor de voix de femmes), m'a demandé de m'occuper de la diffusion de leur ensemble. J'ai chanté des chants tchétchènes aux Yézidis, et inversement...ce qui était très émouvant !

AB : puis tu as invité les chanteuses tchétchènes dans le Diois ?

YL : oui ! Pascale, chanteuse et trésorière de l'association de mon ex-compagne, et présidente de l'association « Déplacer et agir », m'a proposé de me joindre à cette association pour mes activités. C'est ainsi que j'ai pu faire venir des musiciens d'ailleurs et que j'ai pu lancer avec Cécile Pagès la chorale "l'écho" en partenariat avec l'association dioise « l'Écho des langues ». Aujourd'hui, j'ai aussi formé le groupe « Gâmal » avec Cécile. Un duo de chants traditionnels et sacrés, voix et instruments. Et notre premier CD sort dans quelques jours!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : quelle différence entre un chant populaire et un chant sacré ?

YL : je pense que le chant populaire fait suite au chant sacré. Parfois on est prisonnier des mots, du sens qu'on donne aux mots. Alors on chante pour exprimer son intériorité, ses joies, ses peines. La communication est vibration pour l'essentiel. La vibration dans le silence est pour moi la véritable expression du divin.

AB : tu as aussi fait venir le groupe iranien « Tika », par ce biais là en Drôme. Eux chantent pour l'essentiel des chants traditionnels ?

YL : en Iran il n'y a plus que des chants traditionnels. Les trente-cinq années de dictature musulmane n'ont fait subsister que des chants islamiques, chantés dans le cadre strictement religieux et des chants traditionnels. La tradition soufie par contre a préservé ceux-ci, mais de façon cachée. C'est pourquoi j'aimerais aller cette année dans le Kurdistan iranien. Ceci dit, pour moi le chant sacré est l'expression de l'amour. Les chants populaires l'expriment aussi, même s'ils se manifestent plus par le mouvement du corps que par l'intériorité.

AB : y a-t-il une technique particulière pour apprendre un chant sacré ?

YL : voie et voix sont intimement liées. L'une sert l'autre. Personnellement, ma voie consiste à m'enraciner, à ètre un lien entre le ciel et la terre. On peut enseigner des théories, des techniques, mais il faut impérativement l'intégrer à sa vie. C'est indissociable. Pour moi, le sacré on l'apprend dans des endroits « sacrés », c'est à dire comme ici, dans la montagne, dans la nature sauvage !

AB : et la question du souffle ?

YL : le cordon ombilical de ma naissance a rendu cette question difficile... J'ai beaucoup fumé aussi. Mais, pour moi, le souffle reste encore principalement une question mécanique, technique. En Géorgie, j'ai découvert une façon de chanter que je n'ai pas trouvée ici. Il s'agit d'utiliser au maximum tout son corps pour chanter, devenir en quelque sorte une grande caisse de résonance. Là-bas, tout est énergie. En ce sens, la France représenterait l'énergie d'une vieille dame prudente et délicate, tandis que la Géorgie incarnerait celle d'un jeune garçon plein de joie de vivre et d'audace !

Lien vers le site de Gâmal et youtube de Yannick: http://gamal.fr/fr_FR/

 

 

Un hymne à la vierge du XIIIème siècle du moine Gauthier de Coincy, enregistré chez Yannick,

spécialement pour vous!

Photo: Vazo

Gauthier de Coincy - Yannick Loyer
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Le conseil de Yannick à ceux qui voudraient se lancer dans le chant sacré... de l'amour !

 

« Être juste avec soi me semble primordial. S'observer dans le quotidien pour se connaître, de façon à pouvoir connaître l'autre. S'aimer permet d'aimer l'autre, permet de chanter; et chanter permet d'aimer la vie. Quand je nettoie ma table, j'aime sentir la matière de l'éponge, caresser le bois... Chacun a sa singularité. On ne peut pas demander à tout le monde de chanter, comme on ne peut pas demander à tout le monde de devenir maçon ! Ne pas confondre sacré et religion. La religion est souvent à l'origine de conflits, de tensions. Essayer de comprendre, remonter à la source, fouiller, ouvre à l'acceptation de la différence, à la tolérance. Dès lors, la voie du chant se fraye son chemin et devient aisée! »

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