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 La solitude de la femme à barbe

Une femme à qui il pousse des poils au menton est une méchante femme. L'évidence est admise depuis la nuit des temps. Le reconnaître représente le début de la sagesse. Cependant, rien ne dédouane une telle femme de la malveillance qui vit en elle. Elle restera vile, acariâtre, envieuse jusqu'à la fin de sa vie, si toutefois la chirurgie ou quelque technique moderne ne venait à bout de sa barbe.

Le fléau qui la possède ne se réveille - heureusement ! - que par intermittence. Il passe la moitié de son existence à dormir, l'autre à poursuivre ses proies, comme le font les chats. Quand le chat dort, la femme à barbe se sent pousser des ailes. Elle devient capable de timides efforts pour contenir sa nature ombrageuse. Hélas! La plupart du temps ces velléités passent inaperçues. En effet, plus personne dans son entourage immédiat ne profite de ses tentatives balbutiantes. La femme à barbe vit seule depuis si longtemps, qu'elle en a oublié le réconfort qu'apporte la compagnie des hommes. La solitude, subie - et c'est une autre évidence admise depuis la nuit des temps - appauvrit le coeur, assèche la lymphe et pervertit la moelle.

À son insu, la femme à barbe relance la question de la préexistence de l'oeuf ou de la poule. Est-ce la méchanceté qui lui fait pousser des poils au menton, ou sont-ce les poils qui  gâchent durablement ses humeurs et entraînent son isolement du monde ?

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