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Tisser des chants de laine

ou la passion de la musique et du tissage

Aurélie Labbé

 

Née d’une mère originaire du Doubs et d’un père marin Breton (constructeur de voiliers et concurrent de la fameuse course de bateaux « America’s Cup »), Aurélie passe son enfance à côtoyer les dauphins et les phoques de la baie du Mont St. Michel. Elle accompagnera souvent son père sur l’île de Chausey où celui-ci cultive des moules. Elle quitte pourtant très vite Granville et la Basse-Normandie par goût d’indépendance. Après six mois d’études à Rennes à la faculté d’art plastique, elle travaille un an comme animatrice dans un centre social. Puis, dans le cadre du Volontariat européen, elle part en République tchèque, dans un parc archéologique médiéval. C’est là qu’elle découvre le tissage. Les responsables du parc l’envoient se former à cet artisanat en … Bretagne, chez Marie-Pierre Puybarret, archéologue du textile.

 

 

Anna Blum : Aurélie, c’est pour le moins un itinéraire géographique et initiatique original ! En quoi consistait ta tâche dans ce parc archéologique ?

 

Aurélie Labbé : notre équipe était perdue au milieu des montagnes. On y pratiquait l’agriculture, la construction médiévale. On retournait des champs de lin argileux avec des pelles en bois afin de vérifier la faisabilité, le temps que ça mettait, ce genre de choses. Le parc représentait un terrain d’expérimentation pour les archéologues. En Bretagne, Marie-Pierre Puybarret m’a initiée à la base du métier à peson qui était utilisé depuis le néolithique. Elle m’a appris les rudiments du métier à cadre, le filage, le tissage aux tablettes (des petits carrés en carton qu’on tourne). De retour au parc archéologique, j’ai fabriqué mes premiers métiers et commencé à tisser.

 

AB : une semaine de formation suffisait donc pour se lancer ?

AL : par la suite j’ai beaucoup appris dans les livres et comme autodidacte « sur le tas ». Dans ce parc une pièce m’était dédiée. Je pouvais construire mes métiers, les tester, les montrer aux visiteurs, aux élèves des écoles et leur apprendre les rudiments du tissage.

J’y ai même réalisé une exposition sur les teintures ! Ensuite je suis rentrée en France. J’ai travaillé comme animatrice sur des chantiers de jeunes internationaux, avant de me former en tant que professionnelle du tissage chez Sylvie Boyer. Sylvie Boyer investit plutôt la création de vêtements et d’œuvres d’art. Elle tisse depuis trente ans. Je suis restée quatre mois chez elle. C’est elle qui m’a appris à tisser sur des métiers à bras (à cadre). Les métiers les plus modernes qui existent. Ils permettent d’aller vite et de réaliser des tissages beaucoup plus complexes.

 

AB : ce qui permet de vivre de sa production ?

AL : il est difficile d'en vivre, compte tenu de la concurrence des machines.

Ceux qui se lancent dans la haute couture ou l'art textile y arrivent plus

facilement. Sylvie Boyer donne aussi des formations. Pour ce qui me concer-

ne, j'avais surtout envie de réaliser des vêtements et des motifs plus

complexes, sans quoi je trouverais le tissage trop contraignant, trop répétitif.

 

AB : dans quel contexte as-tu appris les techniques de transformation des

végétaux en fibre dont tu parlais à ton stage à Boulc ?

AL : après ma formation chez Sylvie Boyer, j’ai été engagée par le « Village

gaulois » près de Toulouse, où je suis restée un an et demi. J’y avais mon

atelier. J’étais salariée pour organiser des démonstrations de tissage et m’oc-

cuper du Jardin botanique. J’expliquais de A à Z aux visiteurs la fabrication

d’un vêtement tel que la robe gauloise que je portais. Comment on trans-

forme, comment on « broie » le lin pour en extraire les fibres, comment on la

file au fuseau. Je m’amusais énormément parce que j’avais carte blanche

et que mon travail variait en fonction des demandes des visiteurs.

Parfois ça se passait au jardin, parfois dans mon atelier. Je montrais les ou-

tils, je racontais les histoires remontées jusqu’à nous grâce à Hannibal,

César ou Pline. En fonction des visiteurs, la durée variait beaucoup. Certains

restaient toute la journée. On touchait un public très large. Il arrivait pourtant

que les gens soient déçus de ne pas y trouver Astérix et Obélix ! D’apprendre en plus que les Gaulois ne mangeaient pas de sanglier (ils étaient éleveurs et mangeaient donc du porc en lieu et place et du sanglier...), et que la potion magique n’existe pas !

 

AB : heureusement, Falbala était tout de même de la partie ! Pourquoi n’y es-tu pas restée, à ce « Village gaulois » ?

AL : ça se terminait invariablement mal à cause du directeur. Tous ceux qui y travaillaient étaient des  passionnés, mais au bout d’un certain temps, tout le monde partait. Personne n’a jamais voulu y revenir. Mais, grâce à ça, je me suis retrouvée à Die. Je m’y suis sentie bien et j’y suis restée. Par chance, presque tous les métiers du textile étaient représentés dans la région, sauf le tissage !

 

AB : et maintenant tu es installée dans cette ancienne et magnifique « Bonneterie », que tu partages avec d’autres artistes/artisans, où tu as installé tes métiers à tisser et où tu donnes des stages ?

AL : les stages c’est tout récent. J’adore l’échange, la transmission. Plus que la production pure. Je n’ai pas envie de rester toute seule dans mon atelier à créer. J’aime raconter, découvrir l’histoire cachée derrière chaque technique, tel ou tel outil, ou découvrir de nouvelles techniques pour les partager avec d’autres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : les cordages marins de ton enfance sont pour quelque chose dans ta passion des fibres et du tissage ?

AL : je ne crois pas. Quand j’accompagnais mon père sur l’île de Chausey c’était en bateau à moteur. Par ailleurs, je suis rentrée dans le tissage par affinité avec le tissu, le vêtement. Ma mère m’avait appris trois points de base en couture et plus tard elle m’a offert une machine à coudre pour mes dix-huit ans. À partir de là, j’ai commencé à créer des vêtements en complète autodidacte. J’aimais la fluidité, la douceur des tissus. J’ai défait et refait sept fois ma première robe, que je porte d’ailleurs encore !

 

AB : la persévérance étant une marque de la vraie passion !

AL : oui, mais ma première passion est la musique ! Je joue de la flute. J’étais très mauvaise musicienne : pas d’oreille, pas de rythme, pas de facilités. Mais, à force de persévérance, j’ai joué de la flute traversière et du piccolo dans l’orchestre « municipal » de Granville (une association, aidée par la commune). Pour la plupart, cet orchestre était composé des élèves de l’école de musique. Il comptait une soixantaine de musiciens de tous les âges. Beaucoup de ceux-ci sont devenus des professionnels. Tous les vendredis soir, on se précipitait au local pour répéter des pièces de musique contemporaine ou classique. J’ai joué dans l’orchestre pendant sept ans. C’est quelque chose qui ne s’oublie pas ! Quand je suis arrivée à Die, mes envies se sont précisées. Depuis longtemps je voulais chanter. Et les techniques du souffle apprises pour jouer de la flute traversière m’ont donné quelques facilités dans l’apprentissage du chant.

 

AB : mais, quel lien vois-tu entre ses deux passions, la musique et le tissage ? Y en a-t-il un ?

AL : mine de rien, le métier à tisser produit une musique : ses pédales, le va-et-vient de la navette induisent comme une berceuse, une musique méditative. Quand je crée un motif de tissage, je dessine une partition que j’accroche à mon métier comme je dépose ma partition de chant ou de flute traversière sur mon pied à musique.  Les fils doivent aussi être tendus parfaitement, accordés les uns aux autres de la même façon que les notes forment l'harmonie. De plus, chaque outil possède sa propre petite musique.

 

AB : autre passion, que celle des outils anciens  utilisés dans les métiers qui gravitent autour du textile ?

AL : oui ! Je compte bientôt me faire un répertoire photographique avec l’historique de chacun des outils que je possède. Et pour le moment, je travaille avec un archéologue sur les outils de filage antique. Je teste des gestes de filage sur des reproductions d'outils trouvés dans les tombes du premier siècle à Nice. Le but étant de vérifier que ces outils étaient bien utilitaires et de comprendre quels types de fils et de matières ils travaillaient. Les archéologues auront ainsi une base de comparaison pour mieux connaître les objets qu'ils trouvent !

 

Lien vers le site d'Aurélie: http://fairefildetouspoils.over-blog.com/

 

Photos dans le champ de lin et du métier à peson fournies par Aurélie

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