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La musique de la nature ou la nature de la musique

Fernand Deroussen

Parisien de souche, Fernand est paysagiste de formation et ornithologue par passion. Après avoir été président de l'association parisienne d'ornithologie pendant trois ans, et vice-président du Centre d'ornithologie de France pendant cinq ans, il monte sa société d'édition des sons de la nature en 1997, s'installe dans le Haut-Diois en 2005 et se consacre plein-temps à son métier de « compositeur audionaturaliste »

 

Anna Blum : Fernand, tu te définis comme audionaturaliste, mais que signifie ce terme ?

Fernand Deroussen : d'habitude on parle en effet de chasseurs de sons, de sound trackers ou de bioacousticiens. Mais je ne me retrouve dans aucune de ses appellations. C'est pourquoi j'ai inventé ce mot qui allie ma passion de naturaliste à celle de preneur de son (pour laquelle je suis entièrement autodidacte). Depuis quelques années les Anglais ont repris le terme, ce dont je suis très fier. Ce qui ne signifie pas pour autant que je suis le premier audionaturaliste ! Jean-Claude Roché, qui a enregistré les 45tours des chants d'oiseaux d'Europe et Claude Chapuis, qui a beaucoup enregistré en Afrique, l'étaient sans en porter l'appellation. Ceux de ma génération ont repris le flambeau de ces précurseurs. Aujourd'hui, la jeune génération se situe plutôt dans la mouvance du fieldrecording. Leurs créations intègrent les bruits de la vie urbaine, de la vie des hommes (marchés, tramways, bruits de foule...) et ils sont moins préoccupés par les pollutions sonores.

 

AB : on imagine bien enregistrer des chants d'oiseaux, mais des cris de fourmis ou d'autres petites bêtes ?

FD : c'est vrai que ce sont les oiseaux qui m'ont amené au désir d'enregistrer la nature. Ils m'ont ouvert à tout ce qui fait du bruit dans la nature, y compris à ce que l'oreille humaine n'entend pas ! En effet, quatre sortes de sons sont inaudibles à l'oreille humaine. Les microsons, trop faibles pour être entendus, les ultrasons émis par les chauves-souris, insectes et dauphins, les hydrosons dans l'eau, et les infrasons ou très basses fréquences comme le langage des baleines par exemple. Mais on peut tout de même les enregistrer avec du matériel aproprié !

 

 

AB : tes enregistrements deviennent systématiquement des CD ?

FD : en 1992 la chaîne de magasins « Nature et découverte » m'a confié la

création d'une collection sur les ambiances de la nature. Ça marchait très,

très bien ! J'ai vendu plus d'un million de CD sur quinze ans. Les droits

d'auteur m'ont permis de choisir mes sujets, d'aller enregistrer là où je

voulais dans le monde et surtout d'acheter du matériel de terrain de haute

qualité. Mais depuis 2008, avec la chute du CD et la gratuité sur internet,

je suis passé d'une phase de droits d'auteur à une phase de prestataire

de service. Maintenant, je vends des sons pour des expositions, pour des

doublages de films, je participe à des festivals sonores et, sur commande,

j'effectue des inventaires sonores. Un de ces inventaires concerne par exem-

ple la faune du parc national des Écrins.

 

AB : ce qui comporte un petit défi sportif ?

FD : un peu d'entraînement sera en effet bienvenu. L'altitude avoisine

3500m et si je transporte mon matériel dans ma camionnette, je dois

aussi le porter sur le dos ! Pour l'essentiel : un magnétophone à deux pistes

pour la stéréophonie classique, et un autre à six microphones pour capter à

360 ° et créer des ambiances sonores.

 

AB : qu'est un « Festival sonore » ? Qu'y fait-on ?

FD : cet été par exemple j'ai participé en Moselle au festival « Densité ». Un mélange d'électroacoustique, de musique concrète, de musique d'improvisation. Durant toute une nuit, on a diffusé des sons de deux performeurs sonores et d'un autre audionaturaliste au travers de six haut-parleurs, à l'intention d'une soixantaine de personnes, allongées sur des tatamis dans un gymnase. Les gens dormaient ou pas, selon les moments... À Fabrezan, au festival « SonMire » les auditeurs, installés dans des chaises longues, étaient plongés durant une heure et demie dans les sons de la nature, diffusés par panneaux acoustiques. Pour la semaine du son au mois de janvier, il est aussi prévu que j'aille à Saint-Nazaire, à Bordeaux et à Strasbourg, toujours avec mes créations sur panneaux acoustiques.

 

AB : sur quels autres projets travailles-tu pour le moment ?

FD : je termine une encyclopédie sonore des cigales de France en partenariat avec le Muséum National d'Histoires naturelles de Paris. Au total, il en existe vingt espèces différentes. Là, pas question d'ambiance sonore ! Chaque séquence se travaille séparément et de manière pointue. Il s'agit de reconnaître la cigale noire de la cigale corse, la cigale des garrigues de la cigale rouge (commune dans le Diois)... Ce CD sera accompagné d'un livret descriptif. Pour le reste je travaille sur plusieurs films (pas le travail que je préfère!) et à l'exposition « La nature fait sa musique ». Je viens aussi de commencer une collection de « carnets sonores de la nature », qui se présente sous forme d'un CD à télécharger. Le premier carnet parle de la Nouvelle-Zélande. Le deuxième sera consacré à la Corée du Sud, où je viens de passer trois semaines. J'y ai travaillé avec un musicien, un performeur et une danseuse. Un livret accompagne chaque carnet. Ils sont en vente sur mon site.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo de Fernand au Pilhon

 

AB : la raison pour laquelle tu n'aimes pas  travailler pour le cinéma  ?

FD : ajouter du son sur une image est une bonne façon de la mettre en valeur. Mais on dira toujours : « Oh, la belle image ! jamais : Oh, le beau son ! » Plus sérieusement, ma passion est d'amener le spectateur dans une position d'écoute, de stimuler ses perceptions, ce qui va lui permettre de créer sa propre image et l'ouvrira à un autre monde. Un monde basé cependant sur les seuls et uniques sons de la nature que je recueille sur le terrain (et c'est ce que j'adore faire!) Certains artistes manipulent les sons. En tant que naturaliste, j'ai ce parti pris de ne pas les modifier. Ils sont ma matière brute artistique.

 

AB : ton travail d'artiste s'applique dès lors surtout aux enchainements ?

FD : en somme j'écris une histoire. Dans « Où va l'eau des nuages » par exemple, que j'ai réalisé il y a deux ans, je mets en scène toutes les étapes de l'eau d'un orage jusqu'à la mer. Une sorte de promenade, un cheminement dont le sens, la cohérence n'échappent pas à l'auditeur. Dans « La nature fait sa musique », il en va de même. Les sons se complètent, s'enchaînent et racontent une histoire. Ma prochaine création s'appellera « Feu, glace et plumes » en hommage aux glaciers, aux volcans et aux oiseaux d'Islande, où j'étais en juin dernier.

 

AB : quel est le son le plus bouleversant, le plus étrange qu'il t'ait été donné d'entendre ?

FD : peut-être le langage des indris, les lémuriens de Madagascar. Mais tous les sons de la nature sont fantastiques, mystérieux, incroyables ! Quand tu écoutes de la musique, tu communies à une création, une œuvre. Dans la musique de la nature, la scène est le paysage et les instruments les oiseaux, les animaux.

Chacun a sa place dans cette symphonie que j'écoute comme une véritable œuvre musicale. J'ai toujours défendu cette approche vis-à-vis des scientifiques bioacousticiens. Ces derniers étudient le comportement des animaux par les sons, alors que l'audionaturalisme est l'art de l'écoute de la nature. Les approches et la technicité sont les mêmes, les finalités divergent.

 

AB : tes projets d'avenir, ce que tu aimerais encore réaliser ?

FD : je mourrai sans doute avec une parabole à la main ! Je rêve de mettre sur pied des stages d'écoute de la nature (parce que l'écoute est quelque chose qui s'apprend!), ainsi que des stages d'initiation à l'enregistrement. Mais, ce projet se concrétisera probablement quand l'heure de la retraite aura sonné. Dans quelques années...

Lien vers le site de Fernand: www.naturophonia.fr

 

 

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