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Le coup de foudre

Une mystérieuse équation

 

La chose se produisit en plein milieu d’un cours de mathématique, alors que la prof s’acharnait à illustrer le comportement d’une équation dans un système dynamique. Ses bras voltigeaient en l’air comme les ailes d’un oiseau déplumé.

Aux yeux de Gildas, la conduite frivole de la formule se confondait avec celle, appétissante, de la prof. Ça montait, descendait, ondoyait dans tous les sens, avec des inconnues dans des suites asymptotiques, prises subitement de transe. Le déhanché de la prof lui était comme une promesse. « Quelquefois ― expliquait-elle ―, de petites modifications de l’état initial ne changent pas la résolution. Tout dépend de la sensibilité de l’équation à la genèse ».

Au moment où elle prononça le mot genèse, son chemisier bâilla et tout se mit à frissonner dans cette équation dynamique. Gildas, les pupitres, le tableau, ses camarades de classe et y compris la prof. Une équation sacrément jolie ! Magnifique même. Gildas se sentit à l'égal de Dieu en habits mathématiques. Il en éprouva une curieuse élasticité, mêlée à une vitalité paroxystique. Ça se tortillait dans tous les sens comme des spaghettis tout raides, jetés dans une casserole d’eau bouillante.

Incapable d’évaluer combien de temps dura son expérience géométrique — ce pourrait être dix milliards d’années, ou une miette de seconde —, il revint à l’état normal, stupéfait, mais radieux.

Gildas savoura le goût adamique de l'amour dans la bouche. Alors, il commença de le faire avec frénésie. Tout le monde y passa : les filles de son âge, les putes, sa prof de math, ainsi que des hommes d'un certain âge. Il tenta même la chose avec quelques animaux, mais trouva l'expérience trop maigre. Ils restaient là à se laisser

 

bourrer bêtement !

Plus tard, il aborda la question de Dieu. L’amour qu’éprouvent les mystiques pour l’être divin. Hélas ! L’étude du Créateur ne lui procura aucun effet spécial. Une bonne branlette se rapprochait plus de son équation dynamique que la lecture de la Bible. Avant de perdre son âme dans des spéculations théologiques, il bifurqua vers les mathématiques. Comment n’y avait-il pas pensé plus tôt !

Il fréquenta l’amphithéâtre des sciences avec autant d’assiduité, qu’il en avait mis à étrenner de nouvelles pratiques sexuelles. Ce ne fut qu’au deuxième trimestre, qu’il remarqua une silhouette discrète, toujours assise à la même place. Solymar avait le type mexicain. Sa peau brune était veloutée comme l’amande. Elle enroulait ses cheveux noirs autour d’une tête en forme de pleine lune. La première fois que leurs regards se croisèrent, Solymar lui décocha deux flèches empoisonnées au curare. La poitrine de Gildas laissa entendre des roulements de tambour et il s’effondra sur les marches de l’amphi, haletant, exsangue. Il finit toutefois par l’apprivoiser. Il apprit son nom. Et quel nom ! Ce nom-là devint sa douleur de vivre. À chaque syllabe, répétée à l’instar d’un mantra, un tourment exquis lui poignardait le cœur. L’amour avec elle ressemblait à une lente et délectable agonie. Dans ses bras, ce marathonien de l’orgasme se métamorphosa, tantôt en têtard, tantôt en amant balbutiant. Ils s’endormaient, lovés au milieu du lit, plongés dans la paix profonde d’une sensible et mystérieuse équation mathématique.

 

Anna Blum

photo arrière-plan AB: Saint Nicolas église de Latronico, Basilicata, Italie du sud

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