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L' aérien et l’art de l’éclairage ou la danse de la lumière

Véronique Gougat

 

Véronique découvre l’univers du cirque à onze ans. Inscrite aux cours de jonglerie à l’école du cirque Fratellini à Paris, elle choisira très vite d’apprendre le trapèze. Un art qu’elle pratiquera ensuite au sein du cirque Fratellini, du cirque de Barbarie et du cirque Plume. Grâce à celui-ci, elle atterrit en Drôme, à l’occasion d’une résidence du cirque Plume au gymnase de Die. Elle habite la région depuis maintenant vingt-sept ans et est à l'initiative avec David Rullier, Annick Marty et Vincent Ducomet, de la construction du « Serre » à Barnave. Une bâtisse qui abrite une piste de cirque et qui est son lieu de travail.

 

Anna Blum : Véronique, par quel sortilège une fillette décide de se consacrer à l’art de la voltige ?

Véronique Gougat : c’était plus fort que moi ! Dès que j’avais terminé mes cours de jonglerie, je me précipitais chez les trapézistes. Au point qu’un jour, la prof de trapèze Andrée Jan m’a dit : « Dis donc toi, il faudrait peut-être que tu t’y essayes ! » Le fait de voler me fascinait, je voulais éprouver cette sensation euphorique de s’affranchir de la pesanteur terrestre.

AB : pour plus tard t’y consacrer plein temps et devenir circassienne ?

VG : j’ai commencé à travailler dans des cirques, mais je n’ai pas fait que ça ! J’ai eu la chance de pratiquer des choses très variées en tant que trapéziste : théâtre de rue, music-hall, télévision, de « l’événementiel »... À mes débuts, le cirque dépendait encore du Ministère de l’Agriculture, à cause des animaux. J’ai connu la période des controverses dans le monde du cirque, qui voulait se rapprocher du monde de la danse, abandonner les numéros avec les animaux. Et qui a mené à la naissance du cirque contemporain. J’estime avoir eu une sacrée chance de vivre toutes ces expériences !

 

AB : tu participais à quel genre d’émissions télévisées ou de projets événementiels ?

VG : plusieurs tournages pour Ushuaïa par exemple. À l’époque ce n’était pas du tout courant de pratiquer du trapèze accroché à une montgolfière ou un hélicoptère ! Mais, j’ai aussi animé des quinzaines commerciales devant des supermarchés. À un moment donné je n’avais plus envie de faire tout et n’importe quoi. Quand une dame m'a demandé si elle pouvait me toucher parce qu’elle m'avait vu à la télé, je me suis dit qu'il était temps de passer à autre chose ! En tant qu’artiste on a besoin de donner du sens. Notre rôle consiste à susciter de l’émotion, de la réflexion, à créer des univers poétiques ou décalés.

AB : ce qui t’a amené à imaginer et réaliser le spectacle « Gravitations »,

dans lequel tu es régisseuse et éclairagiste ?

VG : dans ce spectacle, l'aspect sensationnel (obscurité, trapèzes accrochés

à une montgolfière, jeu des projecteurs, musique « live ») , n'empêche pas

les trapézistes Agnès et Elsa d'accomplir des portés, des touchers qui

parlent de l’intime. Le spectacle raconte vraiment quelque chose, même si

ce n'est pas à proprement parler un spectacle narratif.

AB : d’où vient ta passion pour la lumière ?

VG : par une suite de hasards, je me suis retrouvée à régler les projecteurs

situés en hauteur, sur les plateaux de différentes compagnies. J’ai appris

sur le tas et très vite j’ai commencé à prendre en main la doublure éclairage

des uns et des autres. Si l’importance de la lumière s’est imposée à moi en

manipulant des projecteurs, par la suite elle m’a littéralement aspirée !

Que la lumière représente un élément essentiel du spectacle, est tout à

coup devenu une évidence. Il y a une respiration dans la lumière, un mou-

vement qui s’apparente à la danse. La lumière révèle un spectacle, le rend

vivant. Comme une photo se révèle dans le bain d’un tirage argentique.

Y compris à l’extérieur, où la lumière aléatoire détermine l’émotion qu'on

va ressentir. Jouer ou voir un spectacle en plein soleil ou sous un ciel gris,

n'a pas du tout les mêmes effets. Et quelques fois on assiste à de vrais ca-

deaux lumineux !

AB : concevoir un spectacle extérieur comme « Gravitations », ou « Vies à vies, fantaisie pour piano », qui se déroule à l'intérieur, chez l’habitant, est très différent ?

VG : à la base il y a la même intention, le même investissement. J'ai de plus en plus envie de toucher les spectateurs individuellement. Le spectacle « Vies à vies », qu’on joue avec Agnès chez les gens, s’adresse à chacun en particulier. Dans « Gravitations », le retour que j'ai de nombreux spectateurs confirme que ce qui les touche tient à ce qu'il donne à voir du merveilleux, de la poésie, du magique. C'est ce qui m’importe aussi dans mes ateliers « cirque en famille ».

AB : tu dédies tes ateliers à l’apprentissage du trapèze ?

VG : plutôt au cirque en général. J’appelle ça de la psychomotricité aérienne. Je sors les foulards, les ballons, les tapis, les hamacs... J’invite à plonger dans un espace de jeu, de la même manière qu’on joue une pièce de théâtre. La notion de jeu est primordiale. Dommage qu’on ne parle pas de jouer une danse, parce que la dimension ludique s’y retrouve aussi. Comme dans toute « discipline » artistique d'ailleurs !

 

AB : quel genre de public fréquente tes ateliers ?

VG : aux ateliers mensuels, surtout des personnes de la région. Par contre, les stages sont ouverts au national et même à l’international. Beaucoup de réseaux s’y croisent. Celui du cirque et de la danse par exemple. Mes ateliers de jeux aériens s’adressent entre autres à « La troupe du lundi », qui comprend des personnes handicapées. La « Troupe du lundi » se réunit... les lundis, et ce depuis dix-sept ans ! Elle est ouverte à tous. Cette année, le spectacle aura pour nom : « Il ne faut pas contrarier les gauchers ». Les participants l'ont choisi eux-mêmes et, comme toujours, il s’agira d’une création collective. On se connaît bien. Avec eux, je retrouve le sens étymologique du mot « amateur » ! J’aime mélanger amateurs et professionnels et c’est gratifiant de constater que les amateurs apportent autant aux professionnels que l’inverse. Je défends vraiment la mixité des publics, y compris dans les âges. Dans un de mes stages, un duo s’est créé entre un homme de soixante-quatre ans et une fillette de douze. Lui était assis avec son accordéon sur le trapèze triangle et elle évoluait autour de lui. C’était magique ! Là réside le vrai sens de rendre la culture accessible à tous.

AB : tu inities aussi des stages ou ateliers d’apprentissage à l’art de l’éclairage ?

 

VG : je ne me sens pas assez compétente pour transmettre la technique à proprement parler. Par contre j’intègre toujours la dimension de la création, du jeu avec la lumière. Dans le stage « Danse et lumière », cette dernière constitue un élément de composition important. Et, d’une façon ou d’une autre, tout le monde passe à la console lumière. J’ai aussi initié des ateliers « Danse et lumière » chez les enfants de l’école maternelle où on joue avec les ombres chinoises. Voilà quelque chose qui marche à tous les âges et qui permet par exemple à l'enfant d'expérimenter le phénomène de devenir plus grand que ses parents !
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : quel lien vois-tu entre ta passion du trapèze et ta passion de l’éclairage ?

VG : sur scène ou en régie j’ai toujours le trac. J’aime ça ! Le trac est un formidable moteur de création. Il m’arrive d’avoir un trac fou pour une régie lumière. On pourrait croire que c’est stupide. Mais, pour moi, si la lumière ne part pas au bon moment, la magie du spectacle s’en ressent. Même si j’ai moins d’adrénaline que quand je voltigeais à de grandes hauteurs, le challenge reste le même. Ça vaut d’ailleurs aussi pour la transmission. Je ne donne pas (plus !) des cours de trapèze très techniques. Aujourd'hui, mon défi consiste dans la recherche de créativité, quel que soit le public. Qu’il s’agisse d’enfants, d’ados, d’adultes, de personnes handicapées, mon objectif vise le dépassement. Que les participants aillent là où ils n’ont pas du tout l’habitude d’aller.

AB : partir à l’aventure en quelque sorte ?

VG : le domaine artistique est une perpétuelle aventure ! On ne refait jamais deux fois le même spectacle. Rien n’est figé parce que les artistes ne sont pas des robots. Une création naît toujours d’une émotion. La mienne provient souvent d’un morceau de musique. Mon bonheur consiste à transmettre cette émotion aux spectateurs au travers de ma sensibilité, mon expérience d’artiste. Il n’y a rien de plus gratifiant que de constater que le public est touché et de lire l’émerveillement dans les yeux d’un enfant ou d’un adulte !

 

Lien vers le site "Ascendances" de Véronique: http://www.ascendances.org/

 

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