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La sublimation

Les haïkus sauvages

 

Comment ceci va-t-il se terminer ? Bao imagine un genre de fête. Dix fois, elle a reposé la question à Hou-Chi: de quoi exactement est-il malade ? Le nom étrange de cette affection. Cardio-myo-pathie. Le cœur qui soi-disant ne fonctionne plus bien. Bao a confiance en celui de son grand-père. Ceux qui le désignent comme mal en point parlent pour ne rien dire. Ou alors la jalousie les étouffe. Ils ont beaucoup de raisons de se montrer envieux du vieil homme. Il possède le plus beau chalet du monde dans un endroit secret. Une impasse avec une fontaine, un magnolia et tout à côté, les montagnes. Dans le pavillon se prélasse un chat arlequin. Ces félins arborent toujours trois couleurs ― blanc, roux et noir ― ce qui leur donne trois fois plus de chance que les autres chats. Son grand-père a aussi de très grandes oreilles et qui peut prétendre ignorer que ça symbolise la sagesse ? Un sage peut-il vraiment tomber malade ? Ceux qui l’affirment marchent sur la tête !

Bao imagine une fête comme à l’école. Elle lira les haïkus que son grand-père lui a confiés. Des poèmes sauvages qui ne respectent peut-être pas la tradition, mais peu importe, il les a écrits pour Bao, mais il est d’accord qu’elle les partage.

 

Du ciel limpide

                                                   Tombent des éclats de rire

Les songes et la lune

                                                             Se battent dans mon esprit

 

Le toit pentu

                                                            Accroche le souvenir 

 

D’un vieux luth, de vieilles mains

                                                               Tirent des sons frais comme l’aube

 

Et celui qu’elle préfère :

 

Une bergère conduit son troupeau

                                   Sous la constellation du berger 

 

« Ce sera un jour spécial. Il y aura une fête et je veux que tu te réjouisses, lui a expliqué Hou-Chi. Avant de me transformer en hirondelle et de venir bavarder avec toi, écoute le feu dans le vieux poêle à bois. Je serai le feu, les braises et le murmure des buches, et il n’y a que toi qui le sauras. Certains feront peut-être semblant d’être tristes. D’autres le seront vraiment, parce qu’ils ne connaissent pas notre secret. Mais toi, ne gâche pas mon plaisir en l’étant. Je compte sur toi pour que la fête soit réussie ! »

Voilà très précisément ce que grand-père Hou-Chi lui souffla à l'oreille, la dernière fois que Bao lui rendit visite à l’hôpital. 

Texte et photo: Anna Blum

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