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Gilbert naît en Savoie, dans la vallée de la Maurienne. Comme ses parents sont ouvriers, il ne peut envisager d'entreprendre de longues études. Il décide de suivre la formation de technicien forestier, ce qui l'oblige à quitter ses montagnes pour la Corrèze. Son BTS en poche, il participe à un « Tour de France des forêts » initié par les papetiers français. Le Luberon, la Meuse, la Drôme, les Landes, les Pyrénées, la Vienne... Une année qui lui permet de découvrir les forêts de France et leurs potentiels en bois de papier et bois d’œuvre. Une année de terrain, durant laquelle il réalise des inventaires forestiers, pratique des analyses de sol et apprend à travailler sur les tout premiers ordinateurs ! Après son service militaire en tant qu'éclaireur chez les chasseurs alpins en Savoie, il passe le concours de garde forestier et atterrit dans le Diois. Son objectif est alors de retourner travailler en Savoie. Mais quarante-deux ans plus tard, il y habite toujours !

 

Gilbert David

Comptage vautours au Glandasse

Etagne (femelle de bouquetin). Vercors. Photo, Gilbert David

Cabri de bouquetin. Vercors. Photo Gilbert David

Aigle Royal .Sainte Croix, vallée de laDrôme. Photo Patrick Labour

Comptage vautours au dortoir de la Pare. Limite entre Dios et Hautes-Alpes

Ce que la nature nous enseigne 

 

Anna Blum : Gilbert, qu'est-ce qui a fondé ton amour pour la nature, pour la faune sauvage ?

Gilbert David : quand j'avais cinq ans, mon père m'a emmené pour la première fois en haute montagne. C'était un bon marcheur et j'étais impatient de l'accompagner. Ce jour-là, on a fait une randonnée qui comptait 1500 m de dénivelé ! Je ne tenais plus sur mes jambes, mais j'avais vu mon tout premier Tétras lyre, mon premier lièvre blanc, mes premiers chamois... Impossible d'oublier de telles rencontres !

AB : si tu es resté dans le Diois, c'est qu'il s'y trouve aussi une belle faune de montagne ?

GD : au début, tout me paraissait petit ici. Les montagnes, les arbres... J'ai eu la chance de m'installer dans un hameau ensoleillé où la faune sauvage était bien présente. C'est à ce moment-là, qu'avec des amis on a commencé à faire des relevés naturalistes.

AB : on dit souvent que les ornithologues sont de drôles d'oiseaux, qui ne se préoccupent que de compter !

GD : ce que j'aime, moi, c'est de m'immerger dans la nature, de voir les animaux sauvages. Ceci dit, le comptage est un mal nécessaire. Sans quoi on ne peut pas se faire une idée de l'évolution d'une espèce. C'est comme ça qu'on s'est aperçu que le Tétras lyre est en voie de disparition ici. Avant, on le trouvait jusque dans les Baronnies. Aujourd'hui, il a presque disparu, y compris sur le plateau du Vercors, alors qu'on le chasse toujours ! Jean-Pierre Choisy faisait partie de ce groupe d'amis. Il était à l'initiative du groupe drômois d'étude et de recherche sur les vertébrés. Ce groupe émanait du CORA (Centre Ornithologique de Rhône-Alpes), qui ensuite s'est affilié à la LPO France (Ligue protectrice des oiseaux), pour former la LPO Drôme dont je suis actuellement président . Avec ce groupe on a commencé à faire toutes sortes de relevés. On recensait les Tétras lyre, les aigles, les circaètes, les faucons pèlerins ...

AB : cette passion était en lien avec ton travail de garde forestier ?

GD : pas du tout ! À l'époque, mes collègues de l'ONF (l'Office National des Forêts) me trouvaient pour le moins bizarre. Sur les dernières années, ça a changé, mais ce qui les intéressait, eux, c'était l'exploitation du bois, point à la ligne. Le pin noir d'Autriche commençait à bien se vendre et c'était tout ce

qui leur importait ! Le pin noir a été planté parce que c'était l'essence qui convenait le mieux pour retenir, fixer les sols calcaires. Grâce à lui, d'autres espèces reviennent naturellement, les chênes et les hêtres par exemple. Mais il faudra peut-être 300 ou 400 ans pour que la forêt redevienne comme avant. Trois quarts de l'ancienne forêt française était composés de feuillus. Maintenant on sait que les feuillus retiennent mieux le gaz carbonique que les pins. Dans la gestion durable des forêts, c'est un élément important à prendre en compte.

AB : votre petit groupe de naturalistes s'intéressait surtout aux oiseaux ?

GD : d'abord au chamois, parce qu'il a failli disparaître du Diois dans les années 70. Les chasseurs pouvaient tuer tous ceux qu'ils voyaient. On a réussi à instaurer un plan de chasse et tout de suite l'espèce a repris vigueur. On continue à faire des relevés encore aujourd'hui, parce que ce n'est jamais gagné.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB : et le loup là-dedans ?

GD : le loup n'est présent que depuis une quinzaine d'années. Il chasse de fait des ongulés, chevreuils, cerfs, chamois.... C'est un limitateur de population, pas par le nombre de bêtes qu'il mange, mais par le changement de comportement des hardes qui se répartissent, se dispersent sur le territoire. Dans le parc du Yellowstone, on a pu vérifier que la présence du loup a rendu la forêt plus robuste. Les ongulés sont mieux répartis, les berges des cours d'eau sont moins soumises au ravinement et donc les rivières moins sujettes aux crues intempestives. Ici, les forestiers se plaignent que les cerfs mangent la forêt sur la réserve des hauts plateaux du Vercors. Une des tâches de la LPO est d'obtenir des études chiffrées et scientifiques sur ce qui se passe réellement dans les réserves et les forêts.

AB : la LPO a donc son mot à dire dans les plans de chasse, la préservation de la biodiversité ?

GD : c'est un combat permanent ! « Agir pour la biodiversité » figure en toutes lettres dans nos statuts. On a actuellement deux personnes salariées plein-temps qui étudient les chauves-souris. Deux livres magnifiques ont été publiés sur le sujet, ainsi qu'un livre sur les reptiles amphibiens. Dans les années 80, on a installé vingt nichoirs pour chouettes de Tengmalm dans la forêt de Saou. Les couples de ces chouettes là font chambre à part. On a donc fabriqué des nichoirs très spécifiques. Le projet a fait long feu quand un privé a acheté le domaine... Avec le comptage des chamois, c'étaient nos toutes premières actions. Comme j'habitais le Haut-Diois, on y faisait aussi des relevés. Chaque année au printemps, je partais deux trois jours sur les sommets de la Pare pour écouter le chant des Tétras lyre au lever du jour.

On a découvert des aires d'aigle, qui existent encore aujourd'hui. Un copain, Roger Mathieu, a réussi à dessiner un aiglon tous les deux jours, ce qui nous permet de connaître l'âge des petits à deux jours près. On analysait aussi les pelotes de réjection.

AB : que mange un aigle ?

GD : l'aigle royal est opportuniste, il peut être charognard, chasser des renards, des lièvres, des écureuils, des marmottes, des chats parfois ! Les marmottes ont été réintroduites et se plaisent sur les hauts plateaux du Vercors . Du coup, les aires de nidification sont remontées sur le pourtour du Glandasse, pour s'adapter à cette nouvelle proie. Nous appelons cela «la plasticité écologique de l'espèce».

AB : et les vautours ?

GD : les vautours fauves ont été réintroduits dans les

années 90. D'abord dans les Baronnies et ensuite

dans le Diois où ils se reproduisent. Les vautours

moines sont arrivés un peu après dans les Baron-

nies. On a relâché, également, les premiers gypaètes,

dénommés aussi « casseurs d'os », il y a sept ans à

Treschenu-Creyers, dans le Haut-Diois. Maintenant

les premiers gypaètes sont matures, et on espère

qu'ils vont se reproduire. Le percnoptère est revenu

naturellement dans les Baronnies. Fin août on compte

tous les vautours aux dortoirs sur les falaises, du

Mercantour jusqu'en Autriche, y compris dans les

Pyrénées, de façon à être sûr de ne pas avoir de dou-

bles comptages.

AB : protéger la nature, c'est surtout la protéger con-

tre les interventions intempestives de l'homme ?

GD : on me reproche souvent que je m'occupe plus des animaux que des hommes. Mais défendre ou protéger la nature, les animaux, c'est défendre/protéger l'homme ! On aurait beaucoup moins besoin d'anxiolytiques si on acceptait de s'immerger dans la nature. J'ai eu la chance de voir il y a quelques années, la seule forêt primaire de plaine en Pologne. Depuis le Moyen-âge elle n'avait jamais été exploitée. L'ingénieur qui s'en occupait était un spécialiste des scolytes, ravageurs des arbres. Dans cette forêt, il avait dénombré 90 fois plus d'espèces qui luttaient contre les scolytes. Ce qui n'est jamais le cas dans une forêt gérée, même durablement ! Plus on gère la forêt, plus elle se fragilise. Heureusement, aujourd'hui l'ONF commence à mettre des parcelles en réserve biologique intégrale. Mais il en faut du temps pour changer les mentalités ! Je dis toujours que l'homme a besoin de la forêt, mais la forêt n'a pas besoin de l'homme. La nature trouve son équilibre sans notre intervention. L'observer est donc d'une importance capitale !

 

Photo arrière-plan: Lagopède, haut-plateau du Vercors. Photo Gilbert David

Lien vers le site LPO Drôme: https://rhone-alpes.lpo.fr/qui-sommes-nous/associations-locales-lpo/26-lpo-drome/

 

 

À ceux qui voudraient devenir des observateurs attentifs de la biodiversité.

 

« J'avais un slogan à l'époque : pour observer la nature, il faut de la passion, mais aussi de la patience ! Quand j'organise des sorties avec des amateurs débutants, j'ai toujours une petite appréhension. On ne peut jamais être sûr de voir quelque chose. Les naturalistes le savent bien, pour toutes les fois où on a été gratifié de tel ou tel spectacle, il s'est passé des heures d'observation où rien de spectaculaire ne s’est passé. Quelquefois il faut aussi être fainéant. Accepter de s'asseoir et de ne rien faire, simplement les sens en éveil. Laisser les choses venir à soi. On se mouille la chemise pour grimper bien haut et on n'est jamais sûr d'être récompensé par autre chose que de prendre du temps pour écouter et observer, mais c'est déjà une grande satisfaction pour moi!» Gilbert David

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