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La grâce

Un secret frémissement

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sol est étrangement doux à ses pieds. La scène, couverte d'une plaque métallique, scintille par intermittence sous les variations de lumière des projecteurs. Il a appris cet art : poser le pied d'abord par sa pointe. Les orteils caressent le sol puis l'embrassent (la nature du sol n'a aucune importance). Le baiser de la plante et du talon se fait plus intense et le plateau de danse s'ouvre, s'écarte ― les jambes d'une femme, prête à recevoir son amant. Il s'enfonce en elle et en même temps s'envole. C'est le tournoiement qui l'élance. L'espace qui se spirale. Il déplie les ailes, poitrine offerte au frôlement du ciel. La tête du serpent lové dans le sacrum, cherche l'occiput. Enfin, l'arc de la colonne décoche sa flèche d'amour quand il croise les fantômes de Mary Wigman et sa danse de Sorcière ; Kazuo Ohno, imitant La Argentina, Pina Bausch dans le saisissant Café Muller. Le corps ? Un sac d'os dans un sac gorgé d'eau ! Le projecteur rouge éclaire une gueule béante de monstre. Quelqu'un rit dans la salle. L'ombre chinoise de ce corps dessine un arbre nu secoué d'un vent violent. Les bras cisaillent, les cuisses lacèrent l'espace en éclats de dentelle. Cette fois, les feuilles de l'arbre pulmonaire bruissent sous l'effet d'un souffle chaud. Danse d'ombre et de lumière où nait, ondoie, pulse et se volatilise le temps. Les projecteurs rouge et blanc clignotent.

Il salue, les doigts de la main droite délicatement posés sur le cœur. Le public applaudit. Le rideau tombe.

Demeure le secret frémissement de la grâce.

 

Danser l'invisible (1) Saburo Teshigawara > https://www.youtube.com/watch?v=zX3EPHMDKkk

 

Anna Blum

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