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La colline où habitent Philippe et Danielle Haeringer est située sur la commune de Saint-Roman, une terre de vignobles à neuf kilomètres de Die. Ils l’ont partiellement acquise en 1970, ont réhabilité deux granges en ruine accrochées à la pente, et s’y sont installés dix ans plus tard, de retour d’Afrique. A la croisée de trois climats (méditerranéen, alpin, continental), la colline fait face à la montagne de Glandasse qui culmine à un peu plus de 2000 mètres.

 

Philippe Haeringer : ce qui peut paraître amusant, c’est que mon métier de chercheur m’a conduit à étudier l’évolution des très grandes villes dans le monde – et je continue à suivre quelques thèses sur Pékin, Téhéran ou Paris – alors qu’ici on me croit entomologiste ! Je suis en effet passé des mégapoles infinies comme Los Angeles, Sao Paulo, Lagos, Shanghai ou Moscou à ces minuscules espèces animales qui vivent sur ce petit territoire de deux hectares. Et je peux dire que c’est aussi passionnant. Davantage même, dans la mesure où cette écoute du monde naturel permet de mieux comprendre qui nous sommes en tant qu’espèce liée à toutes les autres. Si Danielle et moi, avec nos deux filles, avons fait le choix d’habiter ici si frugalement, c’est que nous avions depuis toujours ce besoin d’un contact simple avec le sol de cette planète. Mais c’est seulement lorsque, libéré d’une partie de mes charges professionnelles, j’ai décidé de réaliser un inventaire en règle de toute la diversité présente ici, que j’ai appris à regarder vraiment ce que nous avions sous nos pieds et au-dessus de nos têtes. Deux mille espèces à ce jour !

Pour observer pas à pas toute cette vie, j'ai aménagé des sentiers, parfois soutenus par des murets en pierres sèches car les pentes sont fortes.

Dans le biotope humide au pied de la colline, mes parcours forment comme des tunnels dans la masse végétale. Pour maîtriser les eaux, j’ai dû tracer des canaux, aménager une mare, construire une « chaussée » hors d’eau en recyclant les piquets de vigne d’autrefois, abandonnés. Les volumineux branchages dégagés chaque année ne sont pas brûlés : ils se désagrègent peu à peu, entassés en quelques points. Tout cela contribue à diversifier les micro-milieux favorables à l’installation de nouvelles espèces. Ainsi, chaque jour, été comme hiver, des surprises m’attendent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anna Blum : comment fais-tu, Philippe, pour trouver le nom d’une espèce animale ou florale ?

 

PH : je la photographie sous tous les angles et me plonge dans ma docu-

mentation à partir de tel ou tel détail. Mais, sans ironie, il vaut mieux

connaître la moitié de la réponse pour trouver celle qui manque ! Parfois,

c’est l’évolution de la plante ou de la petite bête qui fournit la clé. C’est

d’ailleurs cela le plus passionnant : plus que la détermination de l’espèce,

c’est son éthologie qui est intéressante, c’est-à-dire son comportement, le

déroulement de sa vie.

 

AB : un tel foisonnement de vie sur un si petit territoire, c’est étonnant !

 

PH : ce foisonnement semble augmenter d’intensité à mesure que l’on

apprend à regarder. Il faut certes de la patience, mais les découvertes sont

souvent fortuites. Par exemple, juste à l’endroit où nous sommes, j’ai cru voir

émerger, il y a peu, un champignon bizarre. C’était en réalité une Testacelle qui

sortait de terre. Cette espèce de limace souterraine n’est pas rare, mais il est

exceptionnel de pouvoir la photographier au moment où elle décide de prendre l’air. Et j’ai pu constater qu’elle sortait à reculons, ce qui, tout d’un coup, donnait un sens à sa particularité physique : cette limace possède au bout de la queue un reste de coquille, une sorte d’écusson pointu qui, visiblement, lui sert à forer ses galeries.

 

A propos de coquille, voici celle d’un petit escargot de zone aride, la Zébrine. Elle est vide. Parfois j’en vois une suspendue à une brindille par un cordon de soie : c’est une très jolie araignée sauteuse qui y a fait son nid et le protège ainsi de certains prédateurs.

Toujours à cet endroit, j’ai surpris l’autre jour un petit vipéreau. Cela m’a fait plaisir car j’avais suivi la gestation de sa mère, nichée dans un de mes murets. Cela vous fait peur ? Il est tellement rare de voir ces discrets animaux, qui donnent toute leur noblesse à cette pente sauvage !

 

Le but poursuivi par Philippe Haeringer est de démontrer la biodiversité qui peut subsister – ou se développer – dans un étroit délaissé de terrains entre vignes et espaces bâtis. Philippe partage ses observations passionnantes dans sa chronique naturaliste « Une colline, trois biotopes » publiée chaque trimestre, avec une riche iconographie, dans l’excellente revue du patrimoine Études Drômoises, dont voici le lien : www.etudesdromoises.com.

 

 

photos : Nell Boulet

photo de la Zébrine : Philippe Haeringer.

 

Tout ce qui bouge sur une colline

Philippe Haeringer

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