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Jean Hegland

"Dans la Forêt"

Gallmeister

 

Imaginez : vous habitez un endroit isolé entouré de nature. Si vous êtes urbain de père en fils, urbaine de mère en fille, peut-être devrez-vous faire appel à des souvenirs de vacances... En tout cas, imaginez que vous avez vos habitudes dans un endroit à moitié sauvage et qu'un jour survient un incident. Un petit incident de rien du tout. Une coupure d'électricité. Votre appareil CD s'arrête brusquement. Ainsi que la machine à laver et votre ordinateur, oui, votre ordinateur ! Mais une heure plus tard, tout repart comme avant.

Après avoir emprunté « Dans la forêt », de Jean Hegland à la médiathèque, j'ai couru acheter le bouquin. J'ai hésité ensuite à l'offrir à une de mes filles pour Noël. L'histoire m'avait profondément ébranlée et j'ai pensé un moment le garder pour moi. Et puis Noël, la trêve de Noël incite à la douceur, à la tendresse partagée, à laisser de côté pour une fois la question de la perte. Or, c'est bien de ça dont il est question dans ce livre puissant de Jean Hegland. Thème universel s'il en est ! Thème brûlant d'actualité avec la question des migrants, chez qui la lutte pour la survie et donc l'incroyable vigueur qui les habite, surpasse pour un temps toutes les pertes. Thème que cette romancière (et apicultrice!), traite avec une rare acuité et finesse d'esprit, dans une langue à la fois poétique et bouleversante de vérité.

Jean Hegland n'est pas une auteure prolifique. « Dans la Forêt » est son seul livre traduit en français. Elle fait partie des « Nature writers », héritiers de David Thoreau, ou Jack London qui ont essaimé à partir du Montana, sous l'instigation ea de Jim Harrisson, Rick Bass, ou Pete Fromm... « Dans la Forêt » m'évoque aussi l'école du « Dangerous writing », dont Tom Spanbauer et Chuck Palahniuk, sont les principaux artisans et expérimentateurs. L'écriture périlleuse cherche à mettre l'âme à nu, quoi qu'il en coûte à l'écrivain. Et Jean Hegland, en plus d'être une merveilleuse conteuse d'histoire, est sans conteste une femme qui n'a pas froid aux yeux !

 

« Je rêve de l'ours. Une fois de plus, il sort de la forêt, la démarche traînante. Une fois de plus, il se dirige vers moi d'un pas pesant. Mais cette fois, bien que je sois moite de peur, ma peur est d'une autre sorte, et je me rends compte que soit je ne m'attends pas à ce que le face à face se solde par ma mort, soit l'idée de mourir ne m'embête pas autant qu'autrefois.

L'ours se penche à nouveau sur moi. Mais, au lieu de me lécher, il ouvre sa gueule devant mon visage, si grande que toute ma tête se retrouve à l'intérieur de sa bouche et je regarde le sombre tunnel que forme sa gorge. Je sens ses crocs contre mon cou, et je sais qu'il m'a arraché la tête. Mais quand il écarte sa bouche de mes épaules vides, je vois le monde, aussi bien qu'avant — en fait, les choses ont une clarté que je n'avais jamais imaginée avant, et je pense, Quel effort c'était de traîner ma tête avec moi pendant si longtemps. »

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