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La délectation

La plénitude du néant


Quelque chose peut-il naître du rien ? Je veux parler du rien infini et non celui appréhendé par comparaison d’avec son contraire. Ce « Pâle écho lumineux du Big Bang », dont parlait si joliment Georges Lemaître, constitue-t-il la preuve irréfutable que tout provient du néant ?

Il en est là de ses pensées, quand par mégarde il laisse tomber son porte-monnaie. Il ne peut que constater qu’il n’y a rien dedans et il serait fort surpris de le voir se remplir à la suite d’un minuscule Big Bang boursier.

Bruno soupire. Et si l’univers entier n’était qu’illusion ? Il fermerait les yeux et au moment de les rouvrir, tout aurait disparu. Quel drôle d’effet ce serait ! Comment même imaginer une chose pareille ? Le néant absolu baignant dans un plus vaste néant absolu, contenu dans un néant plus grand encore comme des poupées gigognes dont lui-même serait, par la force des choses, la plus petite.

La vadrouille intempestive de ses méninges lui a creusé l’appétit. Il soulève le couvercle de sa casserole qui l’attend comme une vieille complice sur la cuisinière. Hélas! vide, désespérément vide. La vacuité à l’état pur... Des signes avant-coureurs d’une déprime pointent le bout de leur nez. La nausée se propage en tache d’encre de son œsophage vers le plexus.

 

Tout à coup, une senteur de spaghetti à la Vongole vient titiller ses narines. L’effluve s’échappe de l’appartement contigu et ferait tomber en pâmoison n’importe quel voisin affamé. La question du Rien avant le Big Bang devient subitement anecdotique et même, anachronique. Il se précipite sur son frigo, en sort une bouteille de « Moscato Bianco Asciutto » (ou « Amabile », le détail a disparu de son souvenir) et va sonner à la porte de la voisine. Plutôt que de s’engueuler à tout propos, ils affronteront ensemble les impondérables d’un univers louche extrêmement inquiétant.

Voisin voisine se régalent avec délectation et une sincérité touchante. La soirée avançant, Valeria et Bruno finissent par trinquer au Big Bang, à la plénitude du néant, aux plumes des femmes innocentes et à l’amour qu’il s'agit de produire comme les vaches donnent du lait. La fête se poursuit sur un vieux trente-trois tours de Tino Rossi. Slows encanaillés s'enchaînent et terminent comme il se doit vautrés sur le sofa, tandis qu'ils susurrent ensemble :

« Besame, besame mucho, cette chanson d’autrefois que je chante pour toi. Besame, besame mucho, comme une histoire d’amour qui ne finirait pas ».

https://www.youtube.com/watch?v=2ZSADBhXBm4

 

Anna Blum

Photo: Anna Blum


 

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