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Faites l'amour pas la guerre !

Lettre à un ami

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mon cher ami,

lors d'un de nos échanges, peu avant que tu ne meures d'une rupture d'anévrisme il y a bientôt un an, tu m'avais dit ta sidération de ceux-là pour qui fête, musique, femmes et bière, relèvent du péché. Sacrilège, l'Orval, notre bière préférée, brassée par les bons Pères ? Allons-donc, un peu de sérieux ! t'exclamais-tu.

Je n’ai toujours pas choisi de croire en un Dieu. Ce mot et tout ce qu’il contient, tu le sais, me hérisse. Je préfère nommer transcendance le levain de l’infinie beauté et bonté du monde. En publiant cette lettre, j’espère qu’elle te parviendra par le prodige de l’une ou l’autre téléportation transcendantale. Parce qu'aujourd’hui, je dois absolument te narrer une anecdote stupéfiante. 

Nous parlions foot, souviens-toi. Tu aimais voir bouger ces corps tout entiers tendus vers un but. Une histoire qui s'écrit sur une page verte par des pieds qui dribblent, amortissent, et autres hocus pocus... Alors que moi, je m'indignais des excès des troisièmes mi-temps, du machisme, de l’argent, ce nerf de la guerre et la guerre, on dirait bien qu’y a que ça de vrai dans ce monde ! Tu vas rire. Aujourd’hui, je veux bien revoir mon jugement. Tu es mort avant les attentats au coeur du Saint des Saints de l'art du beau-vivre chez nous. Je me dois donc de te raconter cette chose inouïe : ceux-là qui exècrent la bière des bons pères voient dans le football une pratique blasphématoire, au point d'attenter à la vie de ceux qui s'y adonnent. Dans ton livre « On progresse » *, délicieux catalogue d’objets rituels tels que strings ou boîtes tupperware, qu'on trouve dans les temples Supermarchés, tu écris au chapitre du ballon : « Et l’homme existe-t-il ailleurs que sur un terrain de football ? Si la balle roule vers le but, c’est pour ne pas finir dans la tête du penseur. » La balle dans la tête du penseur... Tu ne croyais pas si bien dire ! Quoi de plus dangereux en effet qu’un être qui pense, qui réfléchit, quoi de plus redoutable qu’un esprit critique, ou un esprit qui doute ? Donnons-leur donc du pain et des jeux ! Mais, déjà au temps des Romains, pain et jeux ne garantissaient pas à l'empereur un peuple docile. 

Tu aimais me taquiner, mon cher ami, me traitais (avec raison!), d’écologiste hippie. Tu me savais antimilitariste, antinucléaire. « Faites l’amour, pas la guerre ! » était mon slogan. Voilà qu’en ce domaine, il me faudra peut-être aussi « changer mon fusil d’épaule » ? Après les attentats, en les voyant marcher par grappe de trois ou quatre, ces jeunes militaires, mitraillette posée en diagonale sur le cœur, j’ai presque eu envie de leur crier : « Merci les gars ! Ne laissons pas les obscurantistes de tous poils nous renvoyer à la case départ ! » Mais, comme pour Dieu, je ne suis pas convaincue. Tu me traiterais sans doute une fois de plus d'idéaliste. Je n'ai pas renoncé à mon slogan. On peut faire l'amour en tout petit. Commencer déjà par soi-même, par exemple. Faire l'amour à la vie tout court. Je t'entends déjà ricaner...  Allé, je lève mon verre d'Orval à ta mémoire, et t'envoie par le même procédé que cette lettre, un chant de louange à la révolution qui fera plaisir au maître d'école et écrivain que tu étais ! 

https://www.youtube.com/watch?v=gdrElZaPLmU

 

Signé: Anna Blum

Illustration: Nell Boulet

 

* « On progresse » Alain Bertrand, édition le Dilettante

 

 

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