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Marie est née en Espagne à Malaga, l'année de la mort de Franco. Son père était artiste et sa mère céramiste. À l'époque, Malaga était encore un petit port de pêche à l'écart des grands circuits touristiques. Après sa naissance, la famille s'installe à Paris, dans un quartier d'ateliers d'artistes du 13e arrondissement, aujourd'hui disparu. L'ambiance y est villageoise, inventive, libre. Les enfants, de milieux très diversifiés, y jouent pieds nus dans des cours et des espaces semi-communautaires. À quinze ans, Marie passe la porte de ce lieu qui l'a marqué à vie, pour voyager seule, découvrir le monde. Quand vient le temps de se choisir un métier, elle décide d'accomplir une promesse d'enfant : devenir archéologue plongeuse sous-marine et elle s'inscrit à la fac d'archéologie. Elle travaillera une dizaine d'années en archéo sous-marine, notamment au Liban et en Égypte, avant de progressivement quitter le terrain des fouilles et d'investir celui de la recherche sur les teintures végétales. Elle habite le Diois depuis cinq ans.

Marie Marquet

Comprendre l'histoire au travers le fil rouge de la teinture végétale.

 

Anna Blum : Marie, qu'est-ce qui t'a déterminé à te consacrer à la recherche sur les teintures végétales ?

Marie Marquet : avec mes amis de la fac, on passait beaucoup de temps à gratter des peaux, tailler des silex. L'habitat, le tissage des vêtements faisait partie de nos recherches et c'est ainsi que j'ai commencé mes premiers essais de teintures végétales. Comme mon parcours universitaire relevait des sciences humaines, j'ai alors ressenti le besoin d'approfondir la botanique. Je suis partie au Mali pour collecter des traditions ethnobotaniques dans le cadre d'un master. Je recueillais les savoirs-faire existants, les plantes utilisées dans la teinture des textiles, afin de réaliser un référentiel. En parallèle j'étudiais  les tissus maliens du XIIe siècle. Les pratiques contemporaines me servaient en quelque sorte de fil rouge pour comprendre l'histoire. Ce qui me plaît énormément dans le collectage ethnobotanique, est la question de la préservation d'un patrimoine immatériel. Je me suis rendu compte dernièrement que dans ce que j'ai pu collecter il y a vingt ans, pas mal de choses ont disparu ! Pour moi, le rapport aux plantes est très lié à notre façon de faire société. Le textile et les plantes sont liés au paysage, à la nature, ils sont porteurs de sens.

AB : ensuite tu es revenue en France ?

MM : ces recherches étaient exigeantes, coûteuses et toujours au loin. Je suis donc revenue en France. À ce moment-là, j'ai eu deux enfants et j'ai commencé mon livre sur les teintures végétales. Au bout de quelques années, la vie à Lyon ne me convenait plus. Je voulais lancer un jardin de plantes tinctoriales. J'ai déménagé dans Diois et j'ai pu réaliser ce jardin au monastère de Sainte-Croix.

AB : mais ce n'est pas de ce travail-là que tu vis ?

MM : non bien sûr ! Le jardin commence à bien donner, il me sert de support pédagogique à mes stages. J'ai développé pas mal de choses tout au long de ces années telles que le yoga, que j'ai enseigné... J'estime important d'équilibrer les pratiques corporelles avec une recherche intellectuelle. Aujourd'hui, je constate que tous les éléments de mon chemin de vie s'intègrent petit à petit. Depuis que je suis dans le Diois, je transmets mon savoir sur les teintures dans des stages et des formations. Ça a aussi des bons côtés, mon travail me permet à nouveau de voyager!

AB : de quelle manière les champignons se sont-ils invités dans tes recherches ?

MM : en Afrique, ma première découverte la plus étonnante concernait un champignon qui joue un grand rôle dans les teintures. Cependant, c'était plus pertinent de leur consacrer une recherche à part entière. J'ai donc proposé à mon éditeur d'écrire un ouvrage qui traiterait exclusivement des champignons dans les teintures. Ça fait quatre ans que je bosse sur le sujet avec une mycologue, qui transmet les résultats en fac de pharmacie. L'association de mycologie du Diois me donne aussi quelques coups de main. Au départ, je pensais qu'il n'y aurait pas beaucoup de champignons tinctoriaux, mais c'est le contraire ! Ce travail prend beaucoup de temps ; malgré tout j'ai aussi des classeurs remplis de champignons qui ne sont pas intéressants pour la teinture. L'idée n'est évidemment pas de les utiliser à grande échelle, mais plutôt de réaliser un inventaire de ce qui marche, ce qui donne de beaux résultats, pour un usage personnel. Ces champignons sont souvent toxiques, ils n'entrent donc pas en compétition avec ceux qui se mangent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AB: perdent-ils leur toxicité sur les fibres teintées ?

MM : c'est une vraie question. La toxicité se joue au travers de l'intestin dans la majorité des cas, mais pour être vraiment sûr, on mène aussi des recherches plus pointues là-dessus. Même si l'ouvrage s'adressera au grand public. Quand on commence à travailler avec des champignons toxiques, il faut prendre un maximum de précautions !

AB : les teintures ocre et rouges que tu m'as montrées sont produites par quel champignon ?

MM : elles ont été réalisées avec des champignons de la famille des cortinaires. Ils sont tous de petite taille et très toxiques, mais leurs couleurs rouge et orange sont vraiment intéressantes pour la teinture.

AB : tu travailles toujours sur de la laine ?

MM : mon protocole le prévoit car la laine a des affinités particulières avec les teintures végétales. C'est souvent sur la laine que la couleur est la plus belle avec un grand nombre de colorants. Les trois données à prendre en compte quand on teint sont la source de la teinture, la façon de préparer la fibre et la matière de la fibre elle-même. Par ailleurs, la laine est une ressource locale, ce qui me tient à cœur. Faire vivre une filière locale de textile, avec tous les enjeux économiques et politiques que ça comporte, est une manière de se réapproprier les choses. Pour en vivre je suis cependant obligée de diversifier mes activités autour de la teinture. La filière textile est une des plus longues et des plus difficiles à concurrencer. L'histoire textile est une histoire terrible, parce que fondée sur l'exploitation de l'homme par l'homme. Sauf à certains endroits de la planète, en milieu très traditionnel, où la production et la fabrication sont dans les mains des gens, comme au Pérou par exemple. Ce qui me passionne vraiment, le fil rouge qui relie ma passion de la teinture à ma formation d'archéologue, est la question de notre histoire. Ce qui fait société, le pourquoi et le comment on en est arrivé là où nous sommes et comment faire pour que, chacun à son niveau, puisse se réapproprier son destin !

 

à ceux qui voudraient se lancer dans les teintures végétales...

 

« Même si la teinture végétale est un domaine spécifique, il y a plein de façons de l'aborder. La recherche, l'ethnographie, l'histoire, la botanique, l'élevage de troupeaux, la création textile ... Il vaut mieux d'abord s'immerger, nourrir un angle particulier, tout en restant curieux. Il est important de se poser des questions pour ne pas réinventer ce qui est déjà là ! Être curieux de la dimension historique des choses, ne pas avoir des idées trop simplistes. S'appuyer sur la densité des expériences passées. La teinture végétale est à la mode. Ça peut paraître bricolage du dimanche, mais l'histoire du textile touche à un domaine anthropologique très très dense. Moi-même, je ne pensais pas que ça m'ouvrirait à tant de choses. La chimie, le rapport aux plantes, la symbolique des couleurs et la façon dont fonctionne le cerveau, la transmission, l'histoire économique et sociale... Avec l'industrie textile contemporaine, le textile est peut-être l'espace le plus sinistre de l'économie, mais heureusement, le désir de se réapproprier les choses commence tout doucement à pointer ! » Marie

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